Que s’est-il passé le 12 août 1944 à Chicamour ? Rappelons tout d’abord le contexte :
Suite à l’attaque du maquis de Vitry-aux-Loges le 17 juillet, puis celui de Chambon le 6 août, ce sont 3 compagnies qui s’organisent au camp du Ravoir, soit à ce moment-là environ 450 hommes. Alors que les Américains approchent de la région, le colonel O’Neill décide d’attaquer Orléans. On sait que tout ne se passera pas comme prévu bien sûr, la violente attaque du maquis le 14 août bouleversant ces plans.
Dans le cadre de la préparation de cette mission délicate, il est décidé début août de récupérer d’une manière ou d’une autre le plus grand nombre de véhicules possibles. Beaucoup sont ainsi réquisitionnés grâce au travail du lieutenant Michel et du gendarme Roger Dupeu qui rejoint le maquis. Avec une liste fournie par la mairie, ils « empruntent » tous les véhicules en bon état susceptibles de transporter sur Orléans les 450 hommes prêts à en découdre.
Cependant, ces réquisitions ne suffisent pas, et des embuscades sont alors organisées sur la N60 pour intercepter des véhicules allemands. La N60 est alors le lieu de passage privilégié des troupes allemandes qui se replient d’Orléans vers Montargis (voir plan ci-dessous). Après Châteauneuf-sur-Loire et jusqu’à Bellegarde, la route traverse en ligne droite une quinzaine de kilomètres de forêt touffue à souhait, fournissant l’abri nécessaire aux résistants pour se camoufler et attendre les véhicules allemands.
Conformément aux ordres, un groupe de la compagnie Robert se place entre la maison forestière de Chicamour et le carrefour dit des 6 routes. Mais ils ignorent qu’un second groupe de 18 hommes de la compagnie Paul est positionné à peine 2 kilomètres plus loin au niveau du carrefour Châtenoy / Sury-aux-bois. Chargés au départ de réquisitionner une voiture à Nancray, ces hommes se sont retrouvés bredouilles : le véhicule a déjà été réquisitionné par un groupe de parachutistes anglais ! Leur décision unilatérale de venir se placer en embuscade sur la N60 sera lourde de conséquences.
Michel Deprecq fait partie du groupe de la compagnie Robert, il raconte :
Michel Deprecq porte toujours sur lui, aujourd’hui encore1, la balle qui a failli lui coûter la vie ce jour-là.
Les hommes de la compagnie Paul, détachement commandé par le sergent-chef Remont, se sont donc mis donc en embuscade sur la N60 à hauteur du lieu-dit de Chicamour en fin de matinée. Un premier camion allemand est stoppé. Ce premier accrochage se solde par la mort de trois Allemands, deux autres s’enfuient dans les bois. Le camion capturé, une ambulance Opel Blitz, est aussitôt conduit au maquis. Un second camion se présente, est stoppé. Mais l’opération dérape : ce camion n’est que le premier d’une colonne motorisée de huit véhicules qui transporte plusieurs dizaines de soldats allemands. Les combats sont extrêmement violents. Huit hommes sont rapidement mis hors de combat dans les rangs du maquis.
Deux autres s’empressent de décrocher pour donner l’alarme au camp du Ravoir. Le lieutenant Albin Chalandon, à la tête de 150 hommes lourdement armés de la compagnie Albin, arrive en renfort vers 15h30 à Chicamour pour tenter de dégager l’unité encerclée. Les Allemands occupent maintenant trois bâtiments. De plus, ils ont allumé un incendie qui forme un voile infranchissable entre les combattants. Pourtant les maquisards parviennent à déloger l’ennemi de la première ferme, en en tuant une douzaine, au prix de deux longues heures d’un combat harassant. Le chef de groupe Pierre Puget, de la compagnie Albin, est alors tué lors des combats contre les Allemands organisés autour des deux autres bâtiments. Les combats se poursuivent ainsi jusqu’à la nuit tombée faisant encore de nombreux morts côté allemand (le lieutenant Albin les évaluera à plus de 60). Alors que la compagnie Albin organise le repli, les hommes de la compagnie Robert lancent une diversion sur les arrières de l’ennemi, s’emparant au passage du contenu de 4 nouveaux véhicules interceptés alors qu’ils se dirigeaient sur les lieux du drame. Tous les maquisards réussirent à se regrouper sans plus de pertes au camp du Ravoir.
L’émotion est grande ce soir-là. Le maquis déplore 9 tués et 7 blessés (certains seront évacués, d’autres froidement abattus le 14 août lorsque les Allemands investissent les baraquements du chantier forestier au carrefour d’Orléans).
Le capitaine Albert raconte ces heures sombres :
Au maquis, la veillée du corps de Pierre Puget s’organise et les dispositions sont prises pour l’enterrer le lendemain.
Le 13 août, le maquis reçoit la visite du Commandant d’Aboville, adjoint du colonel O’Neill, qui vient s’incliner devant notre premier mort, et apporter les ordres concernant la marche sur Orléans. Le commandant d’Aboville inspecte le camp, puis les deux compagnies Albin et Robert lui sont présentées.
Ce même jour, Pierre Puget est inhumé dans la clairière nous servant de lieu de rapport. Tout le maquis est là, en chemise blanche et brassard tricolore. Monsieur l’Abbé de Lorris donne l’absoute. Une section présente les armes. Il n’y aura pas de discours pompeux et inutile. Je dirai au moment où le cercueil est lentement descendu dans la fosse : « Nous jurons de tous le venger ».
Cette émouvante cérémonie est terminée, quand arrive le groupe envoyé à Chicamour, sur l’emplacement du combat de la veille. Roger et ses hommes rapportent les corps des huit autres camarades. Ils sont presque tous défigurés et à demi calcinés, quelques uns durent être blessés, puis achevés, quatre ou cinq cadavres ont une balle dans la nuque. L’ennemi leur a enlevé leurs papiers. Les corps sont froids et commencent à se décomposer. Nous les enveloppons dans des parachutes blancs, et un groupe travaillera toute la nuit pour creuser leurs tombes.
Nos malheureux camarades furent enterrés le lendemain 14 août, alors que toutes les sections se trouvaient sur leur emplacement de combat. Seule une section de réserve et deux officiers assistèrent à cette inhumation. Sitôt après, cette section était dirigée sur un point menacé.
Ce que le capitaine Albert ne sait pas encore, c’est qu’aux maquisards tués doivent s’ajouter deux civils habitant les fermes voisines, exécutés en représailles par les Allemands : une mère de sept enfants, Marguerite Baudemont, et un enfant de 7 ans, Yves Penet, dont les noms figurent aujourd’hui sur la stèle inaugurée en 1999 sur les lieux des combats aux côtés de ceux des neuf résistants tombés en ce tragique 12 août.