Travail réalisé avec les élèves du Club Résistance 2007/2008 du collège Geneviève de Gaulle Anthonioz des Bordes à l’occasion de l’inauguration officielle du Collège des Bordes au nom de Geneviève de Gaulle-Anthonioz le 26 avril 2008
Nous sommes en 2007, au moment de choisir un nom pour le collège des Bordes. Les « autorités » s’orientent déjà vers une grande figure de la résistance, le collège étant depuis 2003 toujours très impliqué via son Club et sa participation assidue au Concours National de la Résistance et de la déportation. Yvette Kohler-Choquet soutient alors activement le concours (voir cet article), et se voit proposer que son nom soit donné au collège. Trop modeste pour l’accepter, c’est avec joie qu’elle approuvera par la suite le choix du nom de sa grande amie, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, proposé à la place du sien. Qu’à cela ne tienne, c’est avec grand plaisir que le contact fut alors pris avec Yvette Kohler-Choquet pour lui proposer de participer aux cérémonies d’inauguration du collège en avril 2008 (voir le bilan complet du Club Résistance 2007-2008).
Yvette Kohler-Choquet intervient donc une première fois auprès des élèves du Club Résistance le 22 avril 2008, pour leur raconter son internement à Ravensbrück, et leur soumettre les dessins de Violette Lecoq, infirmière et résistante, internée à Ravensbrück également, et auteur de « 36 dessins à la plume », 36 planches qui témoignent de la terrible réalité quotidienne de ce camp de concentration. C’est avec beaucoup d’émotion qu’elle validera aussi ce jour-là le travail réalisé par les élèves autour de Ravensbrück, au travers d’une exposition patiemment réalisée tout au long de l’année scolaire pour être présentée au public quelques jours plus tard, le 26 avril, à l’occasion de l’inauguration officielle du Collège des Bordes au nom de Geneviève de Gaulle-Anthonioz.
Quelques photos de l’exposition temporaire « visitée » par Yvette Kohler quelques jours avant sa présentation au public, et 3 des 36 dessins de Violette Lecoq soumis aux élèves et commentés avec eux.
Ce 22 avril se dessinent également les contours d’un nouveau projet : aboutissement d’une année de travail pour les élèves du Club Résistance, un voyage en Allemagne est organisé du 18 au 23 mai 2008. Au programme, entre autres, la découverte de l’univers concentrationnaire avec la visite du camp de Ravensbrück dans lequel Geneviève de Gaulle-Anthonioz et Yvette Kohler-Choquet ont été internées. L’idée est alors de réaliser un reportage video, dont Yvette Kohler-Choquet accepte de mener les commentaires en voix-off et de témoigner sur les images filmées par des élèves à Ravensbrück. Prenant très à cœur leur mission, ces derniers tourneront sur place plus d’une heure de video. Rendez-vous est donc pris au mois de septembre pour finaliser le projet, mais Yvette-Kohler Choquet décède le 28 juillet 2008.
Nous reste en mémoire son récit de ces années de guerre, un témoignage poignant que les enfants présents ce jour-là ne sont pas prêts d’oublier, et nous non plus.
De Châteauneuf-sur-Loire à « Libération-Nord »
En septembre 1939, au moment où la France entre en guerre, Yvette Choquet n’a que 15 ans, comme mes élèves qu’elle rencontre ce 22 avril. Elle est née le 27 janvier 1925, au sein d’une famille castelneuvienne domiciliée au 148, Grande rue, à Châteauneuf-sur-Loire. Son père est un vétéran de la Grande guerre, et deux de ses frères affronteront la campagne de 1940. L’un d’eux connaîtra les heures douloureuses de Dunkerque, le second est fait prisonnier de guerre. Le patriotisme chevillé au corps, refusant la défaite, gaulliste convaincue dès les premières heures, la jeune Yvette s’engagera sans la moindre hésitation dans les rangs de la résistance à 17 ans, auprès d’autres adolescents de son âge de Châteauneuf. En effet, c’est au sein d’un petit groupe d’amis, de jeunes sportifs, habitués aux matchs de volley-ball sur la plage de Châteauneuf, et rompus à l’exercice du camping sauvage alentours, que naîtront dès 1942 les prémices d’un véritable groupe de résistants, mené par Jean Joudiou, jeune instituteur à l’école primaire de Châteauneuf.
Ses premières armes, c’est à Châteauneuf même qu’Yvette Choquet les connaît, avec toute l’inconscience de ses 17 ans, à deux pas du domicile familial, avec tous les risques que cela comporte. Ses premières victimes, les pneus d’une traction allemande garée devant la maison voisine d’un collaborateur notoire, crevés à coups de couteau (prêté par son ami Jean Joudiou), avec l’aide de son frère devant ses difficultés à percer seule l’épaisse gomme ! Suivront les premiers tracts, les premiers drapeaux alliés offerts sous le manteau à la sortie de la messe, puis les premiers contacts sérieux avec la résistance sur Paris et Orléans, via le mouvement « Libération-Nord1« .
« Chouquette »
Par l’intermédiaire de Jean Joudiou2, en contact direct avec Claude Lemaître3, la jeune Yvette se voit confier sa première véritable mission en 1943. Rappelons qu’elle n’a alors que 17 ans à peine ! André Fougerousse et Jean Hutteau, deux agents du réseau Libération-Nord, lui proposent de se faire embaucher comme secrétaire chez un architecte d’Orléans, un certain monsieur Prouveur, « le sinistre Prouveur » comme le surnomme Yvette, domicilié au 3 de la rue du Coq St Marceau. Particularité de ce triste personnage, c’est un agent de la police auxiliaire de la Gestapo, qui voit passer entre ses mains moults documents précieux pour la résistance : lettres de dénonciation, listes de suspects, de réfractaires au STO, de Français destinés à aller travailler en Allemagne dont il organise le transfert, bref, toutes les fiches détaillées de la Gestapo. Celle qui devient « Chouquette » reçoit donc pour mission de copier ces documents et les transmettre au mouvement, tous les deux jours, au pied du pont Royal. Yvette permettra ainsi à de nombreux résistants et réfractaires d’échapper aux arrestations de la Gestapo. Les risques sont très importants, Yvette se mettra deux fois en danger, la première en sauvant la mise à Jean Joudiou, apparu sur l’une de ces fameuses listes de suspects, l’autre en transmettant une lettre d’un Français fort déçu de son séjour plus ou moins forcé en Allemagne et souhaitant à Prouveur « la victoire de la liberté contre l’esclavage ». Le souci, c’est que cette lettre sera lue par la suite sur les ondes de la BBC, persuadant Prouveur qu’il a été trahi. Yvette s’en sort de justesse, mais ne tardera pas à quitter son poste devenu trop dangereux.
Elle est alors chargée d’infiltrer les établissements Henri Demangel à Châteauneuf-sur-Loire, une fabrique de pièces détachées pour l’aviation allemande. Yvette parvient à prendre la place de secrétaire qui lui permettra de voir passer tous les bons de transport des camions destinés à l’Allemagne… pour beaucoup mystérieusement interceptés par la résistance avant d’arriver à bon port !
Parallèlement, le petit groupe de Châteauneuf développe ses activités, notamment grâce à l’aide précieuse de Jacqueline Thiercelin, dont le poste clé à la mairie de Châteauneuf-sur-Loire permet de fournir aux nombreux réfractaires du STO cachés par leurs soins dans les fermes environnantes les faux papiers nécessaires, cartes d’identité et cartes de ravitaillement en particulier.
Mais en février 1944, lorsque Jean Joudiou et Claude Lemaître sont arrêtés à Paris. Yvette doit se réfugier chez une amie dans le Cher avant de prendre le risque de reprendre son emploi à Châteauneuf, comme si de rien n’était. Répit de courte durée puisque le 13 juillet 1944, elle est à son tour arrêtée. Un jeune homme soi-disant réfractaire au STO, Jacques Hulot, 20 ans, pressé d’intégrer la résistance, se révèlera être un milicien au service de la Gestapo. Robert Thiercelin est aussi embarqué ce jour-là, Jacqueline Thiercelin échappe elle de peu aux Allemands, qui se rabattent sur Odette Toupense4, dont le mari travaille également à la mairie. Ce n’est que vers 17 heures, las d’attendre le retour de Guy Toupense, qu’ils emmènent Odette devant ses deux enfants de 4 et 7 ans. Le réseau est démantelé.
Yvette Choquet et Robert Thiercelin échouent rue Eugène Vignat à la prison d’Orléans. Yvette subit sans dire un mot trois violents interrogatoires, avant d’être transférée à la forteresse de Romainville, puis au camp de Neue bremm, un camp de torture de la gestapo non loin de la frontière française.
La déportation
Le 12 août 1944 débute alors le voyage cauchemardesque vers Ravensbrück. Quatre jours debout, dans un wagon à bestiaux bondé, au milieu d’une centaine de compagnes d’infortune, épuisées, malades, au milieu des cadavres. A peine arrivée, le 15 août 1944, Yvette Choquet découvre effarée le lent processus de déshumanisation propre à ce type de camp. Rasée, vêtue de la chemise rayée, elle échappe au gazage mais est désormais désignée sous le matricule 51344. Elle intègre un kommando de 760 femmes, dont 73 seulement survivront quelques mois plus tard. Le travail forcé dans les différents kommandos comme Belzig devient son quotidien, de jour comme de nuit, en usine ou à l’extérieur pour d’interminables travaux de terrassement, avec la faim qui tenaille, les appels interminables debout par tous les temps, le froid d’un hiver rigoureux au cœur duquel Yvette « fêtera » ses 20 ans. En compagnie d’autres françaises, dont Odette Toupense retrouvée sur place, elles se soutiendront jusqu’au bout. Nous sommes en avril 1945, le camp est évacué devant l’arrivée tonitruante des troupes russes. Les prisonnières sont jetées sur les routes dans un état effroyable, sans nourriture, les SS abattant froidement les plus faibles. Jusqu’à la délivrance. D’abord recueillie par des prisonniers de guerre français qui n’en reviennent pas de croiser le chemin de ces femmes hagardes, puis par la Croix Rouge, c’est finalement une patrouille américaine qui prend en charge Yvette Choquet, à bout de forces. Elle ne pèse plus que 32 kg. Elle gardera toute sa vie la médaille de Saint Christophe qu’un soldat américain lui passe au cou ce jour-là. Elle doit la vie à la présence d’esprit des médecins américains qui prennent soin de réalimenter les survivantes avec la plus grande prudence, cuillère de jus de fruits après cuillère, là où tant de ses camarades périront faute de pouvoir supporter une alimentation normale après des mois de disette.
Le retour
Yvette quitte sa tente de l’hôpital de campagne américain direction Brunswick, au nord de l’Allemagne, avant d’être rapatriée en France au camp militaire américain de Mourmelon-le-Grand en Champagne, où après une semaine elle rentre en train sur Paris où s’organise le retour des déportés à l’hôtel Lutétia. Retour enfin à Châteauneuf-sur-Loire où l’attendent ses parents, ses deux frères Robert et René, et sa petite sœur Paulette.
Commence alors une nouvelle mission pour Yvette Choquet qui se marie avec Pierre Kohler, a 4 enfants, mais donne toujours beaucoup de son temps au profit des associations d’anciens résistants et déportés. Déléguée départementale du Loiret, puis présidente régionale, de l’Association Nationale des Anciennes Déportées et Internées de la Résistance (ADIR), secrétaire générale de l’Union Nationale des Médaillés de la résistance pour le Loiret, et présidente de la Fédération Nationale des Déportés, Internés et Résistants (FNDIR)-Loiret, elle s’investit aussi pleinement auprès des jeunes, témoignant sans relâche, arpentant collèges et lycées, exhortant les élèves à la vigilance, soutenant également activement la participation des établissements scolaires au Concours National de la Résistance et de la déportation. Au nom de la FNDIR et de l’ADIR, Yvette Kohler organise, grâce à l’aide du Conseil général et de la mairie d’Orléans, des voyages offerts aux collégiens et lycéens lauréats du Loiret sur des lieux de mémoire, comme les anciens camps de concentration nazis, notamment Mauthausen. « Ces jeunes en reviennent bouleversés, effarés par les exactions auxquelles mènent les idéologies totalitaires », confie l’ancienne Résistante, qui continuera inlassablement à témoigner pour la liberté.
Si votre chemin passe encore aujourd’hui par Châteauneuf-sur-Loire, peut-être aurez-vous le loisir de vous arrêter place de la Liberté devant l’espace Yvette Kohler-Choquet inauguré le 13 juin 2009, juste en face du collège… Jean Joudiou. Bibliothèque, salle de réunion, salle de formation, point d’accueil jeunesse, centre d’animation de proximité, c’est un espace culturel qui s’adresse à toutes les générations que la ville de Châteauneuf a souhaité implanter au coeur de la ville, une bien belle manière de rendre hommage à l’une de ses filles, et de conserver le nom de cette grande résistante dans la mémoire collective.
- Libération-Nord est un mouvement créé au printemps 1942, principalement animé sur Orléans par le journaliste Roger Secrétain, le docteur Pierre Ségelle, l’industriel André Dessaux, l’instituteur de Beaugency Robert Goupil et celui de Jouy-le-Potier Charles Rocher. Particulièrement actif à compter des premiers mois de 1943, le mouvement étend ses ramifications dans tout le Loiret, chaque section se spécialisant dans un ou plusieurs types d’actions : renseignement bien sûr, mais aussi prospection de terrains pour les parachutages d’armes et recrutement des équipes de réception, filières d’évasion pour prisonniers de guerre ou Juifs persécutés, recherche des réfractaires au STO, soustraits au départ en Allemagne, et pour lesquels on veille aussi à la fourniture de tickets d’alimentation, puis « planqués » par dizaines avec les faux-papiers nécessaires dans les fermes des campagnes environnantes. Ce fut l’un des services les plus actifs de Libération-Nord, notamment à Châteauneuf-sur-Loire, à l’initiative de Claude Lemaître et Jean Joudiou. ↩︎
- Jean Joudiou est à l’origine de la section de camping de la Société sportive de Châteauneuf, que les Allemands soupçonnent déjà de cacher une organisation gaulliste, il sera d’ailleurs arrêté une première fois pour être interrogé sur le sujet. Dès février 1943 et l’instauration du STO, Jean Joudiou tente d’organiser le soutien aux réfractaires (né en 1921, il est lui-même concerné !). C’est alors qu’il entre à Libération-Nord, sous-couvert du très officiel Service géographique de la préfecture, poste qui lui permet de recenser les réfractaires pour organiser leur prise en charge. Il participe à la création de la section de Châteauneuf et prépare l’étape suivante, la résistance active, en recrutant des volontaires pour le maquis et en cherchant des terrains de parachutages. Il échappe aux premières arrestations de son groupe fin 1943 mais finit par être arrêté à Paris le 10 février 1944 (Claude Lemaître le sera le lendemain). Emprisonné à Fresnes, puis Orléans, interrogé sans ménagement, il passe lui aussi par Compiègne sans n’avoir rien révélé et est déporté à Mauthausen en avril 1944. Il mourra de la dysenterie le 26 janvier 1945 à Melk ↩︎
- Claude Lemaître (Lemaître-Basset de Bonnefon de Lavialle) est alors maire de Châteauneuf-sur-Loire depuis 1935. En juillet 1941, il est arrêté et traduit devant le conseil de guerre allemand pour son opposition à l’occupant, qui n’avait que peu goûté ce drapeau tricolore hissé le 14 juillet sur la Mairie ! Il refuse aussi d’exécuter les ordres des troupes d’occupation et est révoqué par le gouvernement de Vichy. Il entre en juin 1943 dans le mouvement Libération Nord, dont il devient début 1944 le chef départemental après l’arrestation le 8 octobre 1943 de sept des dix membres du comité directeur (quatre seront déportés, P.Ségelle et A.Dessaux reviendront, contrairement à R.Goupil et C.Rocher). Il organise alors de nombreux sabotages et participe à diverses missions avant d’être arrêté par la Gestapo d’Orléans le 11 février 1944. Il refusera malgré les séances de torture de livrer les noms des principaux chefs de la Résistance locale et sera déporté via Compiègne au camp de Mauthausen en avril 1944. ↩︎
- Odette Toupense, déportée à Ravensbrück et ses kommandos décèdera, à bout de forces, le 8 mai 1945, des suites d’une marche forcée effroyable vers la Tchécoslovaquie. Jacques Hulot fut arrêté à la libération, jugé, et condamné à mort en 1946. ↩︎