La complexe mise en place d’un maquis dans le Loiret
Le Maquis de Lorris comme pour la plupart des maquis a connu une mise en place très complexe, avec de nombreux intervenants. La spécificité du Maquis de Lorris réside dans le fait qu’entre 1942 et 1943, il est passé d’une organisation clandestine cachée dans un lieu retiré pour s’afficher ensuite au grand jour, et combattre ouvertement pour la libération de la France.
Les mouvements décimés
Dès 1942, le Loiret devient un véritable carrefour de la Résistance. Situé en plein cœur de la zone occupée, le département est stratégiquement placé sur un axe majeur de franchissement, la Loire. Trois mouvements majeurs entrent très tôt en résistance :
– Le Front National, ce sont les communistes du groupe Chanzy notamment, il est décimé à l’automne 1943
– Libération-Nord à Orléans, qui connaîtra aussi un coup d’arrêt après l’arrestation de ses principaux responsables
– Vengeance, sous la direction de Claude Lerude, effectuera un gros travail de renseignement avant d’être décimé à son tour en janvier 1944
Une fois les mouvements décimés, c’est dans les maquis que la résistance du Loiret sera la plus active.
De nombreux intervenants : SOE, BCRA, ORA, OCM…
Le Loiret, en particulier l’Est du département, est en fait l’objet de toutes les attentions de la part de services aussi divers que variés, émanant de Londres comme de la France Libre :
– Le SOE anglais (Special Operations Executive) créé dès 1940, avait pour but de détruire le potentiel économique et industriel allemand dans tous les pays occupés. Il s’agissait également de soutenir les mouvements de résistance naissants dans toute l’Europe, en particulier par la fourniture d’armes. En France, ces opérations étaient sous la responsabilité du colonel Buckmaster (réseaux Buckmaster). C’est le major Frances Suthill qui est chargé fin 1942 d’installer l’antenne parisienne de ce réseau, il s’installe avenue de Suffren dans le 15e arrondissement : c’est le réseau PROSPER. Dès 1942, des contacts sont établis dans le Loiret, en particulier avec Jean Veissière de Montargis (arrêté en juillet 1943 et mort en déportation) et Roger Mercier, de Sceaux-du-Gâtinais, responsable d’un mouvement centré entre Orléans, Châteauneuf-sur-Loire et Pithiviers.
– En juin 1943, c’est l’OCM, Organisation civile et militaire, un des huit grands réseaux de résistance du CNR, le Conseil National de la Résistance, qui prend à son tour contact avec les résistants du Loiret. Lié au BCRA du colonel André Dewavrin (Passy), l’OCM est en liaison avec les hommes de Libération-Nord, mais aussi le groupe de Roger Mercier. Mercier est en relation directe avec le Chef Maquis Zone Nord OCM, le lieutenant-colonel Marc O’Neill.
Le lieutenant-colonel O’Neill, un vétéran de la campagne de France (10e Régiment de Cuirassiers), rejoint l’OCM en 1941. Son rôle est d’organiser des groupes de résistants. Pour cela, il met sur pied le mouvement Volontaires Ouvriers Paysans (VOP), organisation qui a un triple but :
1 : organisation et recrutement
2 : armement
3 : instruction, action
Pour mieux s’y retrouver dans la nébuleuse organisation des institutions de la résistance :
Organiser des groupes de résistants
Objectif n°1 : organisation et recrutement des volontaires dans le Loiret
– Le premier relais du lieutenant-colonel O’Neill dans le Loiret est Roger Mercier qu’il charge du recrutement des volontaires. Entre juin et août 1943, Roger Mercier se rend chaque mercredi à Paris pour rendre compte auprès du colonel O’Neill de ses progrès et prendre les consignes. En août 1943, O’Neill nomme Mercier DMD Loiret (Délégué Militaire Départemental), avec pour missions :
– la constitution clandestine de petits groupes dune dizaine d’hommes sûrs sur chaque commune du Loiret
– la recherche de terrains propices aux parachutages
– la réception, le stockage et l’entretien des armes parachutées
– l’accueil des réfractaires du STO de plus en plus nombreux au printemps 1943
C’est en décembre 1943 que Mercier nomme son adjoint en la personne de Pierre Charié, pour s’occuper du secteur Pithiviers / Chambon-la-Forêt / Bellegarde, tandis que Mercier s’occupe plus précisément de la région Gien / Montargis / Lorris.
– Second relais du colonel O’Neill, Albin Chalandon, membre de l’ORA (Organisation de résistance de l’armée), est chargé de recruter tous les volontaires de la région de Lorris dès avril 1944 : les hommes sont recrutés dans les communes de Nogent sur Vernisson, Montereau, Noyers, Le Moulinet, Vieilles Maisons, Thimory… En juin 1944, au lendemain du débarquement, Chalandon installe son PC dans une ferme à Lorris au lieudit « Les Barnabés », au bord de la forêt d’Orléans, ferme tenue par la famille Elise d’origine belge.
Avec l’aide des services des Eaux et Forêts et de quelques gardes forestiers tels M. Arrighi et M. Boussogne, il va rechercher l’endroit pour implanter le premier camp du maquis au lieu-dit « les Aulnottes »._
Au printemps 1944, plusieurs groupes sont ainsi déjà structurés : de nombreux volontaires sont prêts à l’action, des contacts ont été pris à tous les niveaux, notamment avec des agents des PTT, de la SNCF ou des Eaux et Forêts, des terrains de parachutages ont été repérés et homologués par Londres, si bien qu’au moment du débarquement, le véritable point de départ de la lutte armée, ces groupes se révéleront particulièrement efficaces.
A Londres pendant ce temps-là, on prépare le débarquement des troupes alliées en France. La mission initiale imaginée par l’Etat Major de Londres concernant le Loiret était simple : coordonner les efforts encore épars de la résistance, et constituer des petites unités légères mobiles d’une trentaine de personnes dont l’objectif serait d’organiser la réception d’une brigade parachutée et la couverture de la Loire entre Briare et Orléans, en vue du débarquement. Cette mission fut confiée au DMZ Zone Nord (Délégué Militaire de Zone), le colonel Rondenay (Jarry) au printemps 1944.
Le colonel Marc O’Neill, de l’OCM Action, travaille déjà avec le Loiret, il est alors nommé DMR de la région P2 (Délégué Militaire Régional) en mai 1944 par l’Etat-major FFI. Il devient responsable de quatre départements, le Loiret, le Cher-Nord (le Sud est en zone libre), le Loir-et-Cher et l’Eure-et-Loir. O’Neill est donc chargé par Londres, et le colonel Rondenay, d’une mission très précise : la création de deux unités de combat de part et d’autre de la Loire dont l’objectif serait, le moment venu, d’entraver tout envoi de renforts ennemis sur le front par la vallée de la Loire : ce sera le rôle des maquis, cachés en forêt d’Orléans rive droite, en Sologne rive gauche.
O’Neill décide aussitôt de s’installer dans le Loiret pour diriger la manœuvre. Il est d’abord accueilli par Mercier à Sceaux-du-Gâtinais, avant de passer par Puiseaux, puis d’élire domicile à Vitry-aux-Loges, dans la ferme de la Folie, louée pour lui par l’Abbé Visage, le curé de Vitry. De son PC (poste de commandement) de « La Folie », il est en contact permanent avec Londres et les quatre chefs départementaux de la région P2 grâce à son radio, le capitaine Villemin (Charles) et sa femme, Paulette, chargée du codage et du déchiffrement des messages.
Objectif n°2 : armer les volontaires
Pour s’assurer du parachutage régulier d’armes depuis l’Angleterre, O’Neill prend contact avec Philippe de Vaumécourt (alias Antoine, ou commandant Saint-Paul), chef SOE pour la région P2 après le démantèlement du réseau Prosper du major Suthill (arrêté en juillet 1943), puis avec le BCRA à Londres. Plus de 50 parachutages auront ainsi lieu entre mai et juillet. De son côté, Albin Chalandon bénéficie aussi des premiers parachutages organisés par le réseau Alliance.
L’étape suivante, c’est constituer des équipes entraînées pour récupérer les armes, les entretenir, et apprendre à s’en servir. A ce moment-là, sur Lorris et les communes environnantes, il existe déjà des responsables locaux de la Résistance qui sont les mieux placés pour le choix des volontaires. Dès le printemps 1944, on assiste donc à la formation de plusieurs maquis en forêt d’Orléans :
– A Vitry aux Loges, O’Neill s’appuie sur le groupe créé par l’Abbé Visage dès décembre 1942 pour constituer un véritable maquis qui se terre au camp du bois du Sourdillon, sous la direction de son adjoint, Benjamin Passet (capitaine « Albert » Thibault)
– A Chambon-la-Forêt, c’est Pierre Charié qui constitue avec Roger Desfray un maquis installé entre Chambon et Vrigny. Le capitaine Paul Gramond qui le dirige est en liaison avec le groupe Fenwick, un commando anglais du SAS (Special Air Service) dirigé par le major Fenwick
– A Lorris, il existe déjà le groupe armé sous la direction d’Albin Chalandon. Albin Chalandon possède déjà des armes et quelques véhicules.
– le maquis de Chilleurs-aux-bois et le maquis de Bois Thomas plus vers l’Ouest.
Objectif n°3 : instruction, entraînement … les « Cyrards » entrent en action !
Tous ces volontaires, de très jeunes hommes, n’ont pas de formation militaire. Conscient de la difficulté, Albin Chalandon décide d’organiser l’instruction clandestine des volontaires. Il organise alors la venue depuis Paris des « Cyrards » pour instruire ces hommes au maniement d’armes et explosifs. Il s’agit d’anciens étudiants élèves officiers de l’armée française du lycée militaire de Saint-Cyr, transféré dans un premier temps à Aix-en-Provence en octobre 1940 puis fermé en 1942. Nombreux sont ceux qui recevront par la suite une instruction clandestine dans le but d’alimenter les groupes de résistance qui voient le jour un peu partout sur le territoire. Albin Chalandon, alors adjoint du lieutenant Jean de Montangon (alias « Liénart », arrêté le 3 juin 1944), décide après le débarquement d’envoyer 21 de ces cyrards en forêt d’Orléans. 10 d’entre eux seront cachés par des fermiers dans les communes environnantes de Lorris, certains rejoindront rapidement les groupes auxquels ils sont affectés, 8 au maquis de Vitry-aux-Loges, 3 au maquis de Chambon-la-Forêt. Leurs missions sont :
– d’organiser la réception des parachutages d’armes
– de procéder, souvent de nuit, à l’instruction militaire des volontaires, avec entraînement au maniement des armes et des explosifs
– de mener les groupes de résistants lors des missions, ils intègrent pour cela la chaîne de commandement du maquis (1ère compagnie)
Il n’était nullement prévu à l’origine que les trois maquis de la région, Vitry, Chambon et Lorris, se regroupent, mais les Allemands en décidèrent autrement !