Retour à Résistant(e)s et Déporté(e)s

Elisabeth Torlet

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Elisabeth Torlet avant guerre (Droits réservés, M.F.Filliatre, M.Berger)

Travail réalisé par les élèves du Club Résistance 2003/2004 du collège Geneviève de Gaulle Anthonioz des Bordes autour du thème 2003/2004 du Concours National de la Résistance et de la Déportation : « Résister dans les camps nazis », et des Rendez-vous de l’Histoire de Blois sur la question « Les femmes dans l’Histoire »

L’année 2004 est l’année de la commémoration du 60ème anniversaire des débarquements et de la Libération, l’occasion de créer dès la rentrée de septembre 2003 le Club Résistance au collège des Bordes, et de s’associer aux multiples cérémonies qui tout au long de l’année ont fait en sorte de perpétuer le devoir de mémoire en revenant sur ces événements-clés. Le point de départ de ce travail est l’inauguration en novembre 2003 du gymnase des Bordes au nom d’Elisabeth Torlet. Une trentaine d’élèves volontaires s’est alors attelé à un long travail de recherche sur Elisabeth Torlet : native des Bordes, formée et entraînée en Afrique du Nord avant d’être parachutée pour une mission de soutien aux FFI dans la région de L’Isle-sur–le-Doubs (mission « JorXEY »), elle est capturée et exécutée par les Allemands le 6 septembre 1944.

Grâce à l’aide précieuse de sa famille, les élèves ont pu reconstituer le parcours d’Elisabeth Torlet et ont travaillé à l’élaboration d’un CD-Rom présenté à la session 2004 du Concours national de la Résistance et de

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La jaquette du CD présenté, et primé, au concours des Rendez-vous de l’Histoire de Blois 2004

la Déportation consacrée aux « Français Libres », ainsi qu’au concours des Rendez-vous de l’Histoire de Blois sur le thème « Les femmes dans l’Histoire ».

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De gauche à droite : Madeleine, Jean, Geneviève et Elisabeth Torlet, 1917-1918 (Droits réservés, M.F.Filliatre, M.Berger)

Ce CD a été récompensé par le Prix spécial de l’ONAC 2004 au CNRD et par le 1er prix collectif au Concours des VIIème Rendez-vous de l’Histoire de Blois (voir bilan complet des activités du Club en 2003-2004 ici). Le contenu de ce CD-Rom a permis la réalisation de cette page.

Elisabeth Torlet est née le 5 février 1915 aux Bordes dans le Loiret. Elle fait partie d’une famille de 5 enfants, et passe toute son enfance avec ses deux parents aux Bordes. Son père, contrôleur général de la Sécurité Sociale, était aussi maire de la commune des Bordes à la naissance d’Elisabeth. Il avait fait la Grande guerre de 1914 à 1918, et était lieutenant de réserve à l’arrière en 1939, il tenait alors un petit poste sur la rive gauche de la Loire.

Elisabeth étudie à Orléans puis à Saint-Omer dans le Nord où elle enseigne dans un institut privé jusqu’en 1939. Elle gagne ensuite la zone libre après la signature de l’armistice et travaille aux assurances sociales jusqu’en 1941. En 1942, Elisabeth et sa sœur Geneviève partent au Maroc chez leur sœur aînée, Madeleine, alors confrontée à des problèmes de santé liés à sa grossesse. C’est alors que le débarquement Anglo-américain d’Afrique du Nord les y surpris, le 8 novembre 1942.

Le rôle clé de l’Afrique du Nord

Pour bien comprendre les conditions de l’engagement d’Elisabeth et Geneviève au Maroc, il faut d’abord bien appréhender la situation très particulière de l’Afrique du Nord en 1942.

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L’Empire colonial français en 1939 (Source : Wikipedia)

Rappelons déjà que la France en 1940 n’est pas simplement limitée au territoire métropolitain, elle dispose aussi de son Empire, avec l’Afrique du Nord, et en particulier l’Algérie et ses 10 millions d’habitants. L’Empire devient rapidement un enjeu à la fois pour Vichy, la Résistance naissante, mais aussi pour les Alliés, ces vastes territoires outre-mer français présentant un fort potentiel humain et une situation géographique privilégiée qui peuvent servir de base à une reconquête de la France et de l’Europe. A la suite de l’appel du général de Gaulle, le 18 juin 1940, les volontaires désireux de rallier l’Angleterre et la France Libre commencent à affluer. Mais l’attaque de la flotte française par les Anglais à Mers-El-Kébir porte un coup sérieux au recrutement. Quelques hommes politiques sont tentés de leur côté de continuer le combat depuis les bases d’Afrique du Nord, mais devant le refus de Pétain, le projet tourne court, et les territoires de l’Empire restent dans un premier temps fidèles à Vichy. En Afrique du Nord, la population européenne soutient massivement le régime de Vichy ; le général Weygand, alors Délégué Général du Gouvernement en Afrique, applique sans réserve sa politique. Certains choisissent cependant le camp gaulliste et le ralliement à la France Libre, d’autres celui du général Giraud, tout juste évadé d’Allemagne, anglophobe convaincu, mais qui reçoit le soutien du président américain Roosevelt qui se méfie des prétentions du général de Gaulle à représenter à lui seul la nation française.

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Le général Giraud, le président Roosevelt, le général de Gaulle et Winston Churchill lors de la conférence d’Anfa, dite aussi conférence de Casablanca, janvier 1943 (Source : france.fr)

Le débarquement en Afrique du Nord des troupes alliées en novembre 1942, l’opération « Torch », vient encore compliquer ces luttes d’influence. Les Américains reconnaissent dans un premier temps le pouvoir en place, celui de l’amiral Darlan alors en visite en Algérie. Celui-ci étant assassiné par un gaulliste, Bonnier de la Chapelle, le général Giraud devient alors l’interlocuteur des Américains. Il est à la tête du Haut Commissariat en Afrique du Nord, mais il maintient dans un premier temps la législation vichyste, et conserve des ministres pétainistes. Finalement, c’est en 1943 que Giraud décide de rétablir la légalité républicaine, de se séparer des partisans du Maréchal Pétain, et par là même de rompre avec Vichy.

Entre de Gaulle et Giraud commencera alors une lutte pour le pouvoir en Afrique du Nord. De Gaulle marque un point décisif quand le C.N.R., dès sa création en mai 1943, réclame la formation d’un gouvernement provisoire dirigé par le général De Gaulle. Face à l’influence grandissante des gaullistes, le CFLN, qui naît le 3 juin, se retrouve avec une direction bicéphale, l’autorité militaire pour Giraud, l’autorité civile pour de Gaulle. Cette situation ne durera pas puisque Giraud doit s’effacer devant son rival en avril 1944. En juin de la même année le CFLN devient le GPRF. Alger, après Londres, deviendra la capitale de la Résistance.

C’est dans ce contexte difficile que le 16 février 1943, répondant à l’appel lancé par les autorités françaises, Elisabeth et Geneviève Torlet s’engagent sans hésitation pour la durée de la guerre. Volontaires pour intégrer le Corps Féminin des Transmissions créé quelques mois plus tôt, le 20 novembre 1942, dans le cadre de la réorganisation de l’Armée Française en Afrique du Nord, les deux soeurs s’engagent donc au Maroc en compagnie de Suzanne Combelas. C’est  à Casablanca qu’elles reçoivent la formation de radios, et apprennent à manipuler des postes émetteurs récepteurs. En août 1943, elles rejoignent l’école des cadres du Corps Féminin des Transmissions à Hydra près d’Alger, où elles sont nommées sergents le 15 septembre 1943.

Les unités de transmissions en Afrique du Nord

Les Transmissions assurent la liaison entre les différents Corps et Armes de l’Armée. Elles ont pour patron un messager célèbre, Saint Gabriel. Celui-ci fut choisi par Dieu pour descendre sur terre et annoncer à Marie : « Tu enfanteras un fils et il sera appelé le fils du très haut ». C’est le 1er juin 1942 que naquit officiellement l’Arme des Transmissions en France. Des sections techniques de transmissions sont créées et rattachées au ministère des Postes et Télécommunications. Les compagnies de Transmissions françaises sont  stationnées en Afrique du Nord en novembre 1942, au moment du débarquement allié. Le 20 novembre 1942, le Corps Féminin des Transmissions fait son apparition. C’est à la demande du général Giraud, commandant des forces militaires françaises en Algérie, que le général Merlin commença à recruter des renforts féminins de téléphonistes, télétypistes, et opératrices radio destinées à assurer les communications au sein de l’armée de Libération. Les débuts sont difficiles les premiers mois, les problèmes d’encadrement, de commandement, de logement, d’habillement… s’accumulent rapidement. Le 16 février 1943, le général Giraud lançait un appel à « toutes les énergies disponibles », appel entendu par Elisabeth Torlet et sa soeur qui s’engageaient alors aussitôt. Il fallut ensuite former des opératrices de valeur en un minimum de temps : apprentissage du morse pour communiquer avec les autres radios, manipulation des émetteurs récepteurs, ce sont quelques dizaines de jeunes femmes de 17 à 30 ans qui quelques semaines plus tard se surnommaient  ainsi les « Merlinettes » en l’honneur du fondateur de l’unité.

Les communications avec la France et la résistance
Les opérateurs radio comme Elisabeth et Geneviève Torlet consacrent un an à l’apprentissage du morse et du langage codé en Angleterre ou en Afrique du Nord. Leurs activités sont très vite orientées vers la résistance à l’occupant allemand. C’est une activité très dangereuse en raison des voitures de radiogoniométrie allemandes qui servent à repérer avec précision les radios allumées. Pour ne pas se faire repérer, les opérateurs radio devaient camoufler leur émetteur radio, de plus en plus miniaturisé, dans des objets d’utilisation quotidienne, ex : valise, phonographe, etc…, le temps de communication ne devait pas dépasser la minute, et il fallait changer d’emplacement après chaque émission radio. La sécurité, bien aléatoire, était à ce prix, la répression était féroce. La fabrication en série, la formation d’opérateurs de plus en plus nombreux, la séparation entre postes uniquement récepteurs et uniquement émetteurs pour limiter les risques…, ont permis que le trafic augmente sans cesse : entre janvier 1943 et juillet 1944, les réseaux action du BCRA feront parvenir plus de 15000 messages radio à Londres.

Le 15 mars 1943, 54 jeunes femmes étaient déjà appelées en renfort immédiat des spécialistes masculins engagés en Tunisie, puis d’autres suivirent au Maroc en mai. Alors que de nombreuses merlinettes affrontaient les théâtres d’opérations de Méditerranée dans le sillage de l’armée régulière du Général de Lattre de Tassigny, d’autres comme Elisabeth Torlet choisirent d’affronter les dangers de la « guerre de l’ombre » en se portant volontaires pour des opérations spéciales demandées par les services secrets. Au cours du second semestre 1944, 110 opératrices radio furent notamment parachutées en France après le débarquement. En 1945, à la fin de la guerre, l’armée de terre compte plus de 2000 merlinettes.

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Carte d’identité militaire d’Elisabeth Torlet, 1943 (Droits réservés, M.F.Filliatre, M.Berger)

 Le rôle des services secrets : aider les réseaux de résistance en France occupée

A Londres
C’est en juillet 1940 à Londres que André Dewavrin, alias colonel « Passy », est nommé par le général de Gaulle chef du Bureau central de renseignement et d’action, le BCRA, qui allait constituer les services secrets de la France Libre. Anglais et Français Libres collaborent étroitement : les Anglais acceptent de fournir un support logistique et des moyens financiers, au départ bien limités, en échange de renseignements et de la promesse de mener des opérations de sabotage. Les premiers agents sont ainsi envoyés dès juillet 1940 en France occupée pour constituer les premiers réseaux de renseignement qui rapidement couvrent l’ensemble du territoire national et fournissent des renseignements dont la valeur est bien vite reconnue par les alliés, grâce au concours et à l’aide de Français patriotes qui voient là un moyen de continuer le combat.
A partir de janvier 1942, des groupes de résistance sont constitués avec des patriotes qui ne veulent plus se contenter de faire du renseignement ,mais veulent lutter par les armes contre l’occupant. Des groupes comme Combat, Libération, Francs-Tireurs, reçoivent alors des armes, du soutien et des moyens financiers pour lutter contre les Allemands. C’est au cours de ce même mois de janvier que Jean Moulin est envoyé en France pour unifier et coordonner l’action des différents réseaux avec celle du BCRA. Le territoire national est alors divisé en régions, avec à la tête de chacune d’elle un délégué militaire et une équipe d’instruction et de liaison chargés de coordonner l’action des résistants (renseignement, sabotages, évasions etc…) et de centraliser les informations et les demandes pour Londres.

A Alger

En Afrique du Nord, après l’Opération Torch et le débarquement allié, les services de renseignements se développent rapidement, en marge du BCRA centré sur Londres, sous la tutelle unique de la DGSS, la Direction générale des Services Spéciaux. Ainsi, la mission JorXEY, à laquelle a participé Elisabeth Torlet, fut organisée à Alger par les services spéciaux de la 1ère Armée Française du général De Lattre, le SRO (Service Renseignement Opérations). La mission est tout à fait typique de ces nombreuses missions de renseignement commandées sur la France après le débarquement du 6 juin 1944 pour connaître la position et les mouvements des différentes unités allemandes.

Entraînés en Grande-Bretagne pour certains ou en Afrique du Nord (Alger, Tunis…), les agents de ces services secrets apprennent à reconnaître tous les insignes des uniformes ou véhicules allemands pour les missions de renseignement, ou apprennent pour d’autres à se servir d’explosifs, d’armes, à réaliser des sabotages, ou bien deviennent comme Elisabeth Torlet opérateurs radio pour assurer la liaison avec Alger ou Londres, ou avec les différents groupes de résistance.

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B24 Liberator (Source : © en.wikipedia.org)
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Le Lysander

Quand les agents étaient prêts, ils devaient pénétrer en Europe occupée, par bateau ou par avion comme le Lysander, bien adapté aux parachutages et aux atterrissages/décollages courts pour déposer agents ou matériels de nuit sur des terrains de fortune, ou comme le B24 Liberator, à plus long rayon d’action, et d’où furent parachutés les trois membres de la mission JorXEY.

Au moment du débarquement, l’action de la résistance pèsera de tout son poids pour contribuer, avec l’aide des alliés et des unités françaises, à la libération du territoire. Les forces des services secrets français et anglais agirent ensemble : entre 1500 et 2000 agents des services français, et 35000 hommes du SOE, sont envoyés en Europe entre 1942 et 1945 avec plus de 5700 tonnes de matériel militaire pour leurs différentes missions (renseignement, aide aux réseaux de résistance…).

Très vite nommée chef d’équipe, Elisabeth est affectée à sa demande à la DGSS, la Direction Générale des Services Spéciaux, au service Opérations de la 805ème Compagnie de Transmissions. Les services de renseignement de la 1ère Armée, le SRO, recherchent alors des volontaires pour des missions de renseignements en France occupée. Les deux sœurs Torlet se portent volontaires avec une trentaine d’autres : malgré une santé parfois déficiente, c’est Elisabeth qui est choisie pour préparer la mission Jorxey, une mission de renseignements en France occupée. Elisabeth finit alors sa formation à Alger et subit tous les stages nécessaires, dont le difficile brevet de parachutisme.

La mission « JorXEY »

Pourquoi « JorXEY » ?

Le mot « jorxey » ne correspond à rien d’autre qu’un indicatif radio « XEY » précédé du « J » de Jacolin et du « OR » de tORlet, autrement dit les noms des deux agents concernés.

Quel type de mission ?

Commandée par les services spéciaux de la 1ère Armée Française à Alger, le SRO (Service Renseignement Opérations), la mission est une « simple » mission de renseignement : prévoyant l’avance des troupes Alliées le long de la vallée du Rhône puis de la Saône, il s’agissait de lancer des équipes qui informeraient les services spéciaux des mouvements des unités allemandes, leurs lignes de repli et de défense, leur nature, leurs effectifs, leur stationnement, leur équipement, etc…, dans un secteur, l’Est de la France, qui allait devenir un secteur stratégique.

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La région de l’Isle-sur-le-Doubs en détail
Carte-Besancon
La zone de parachutage d’Elisabeth Torlet

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Comment l’ équipe est-elle constituée ?

L’équipe est constituée d’un chef de réseau et d’un ou une radio. Le Lieutenant André Jacolin (nommé Capitaine pour cette mission) et l’Aspirante Elisabeth Torlet (nommée Sous-Lieutenant pour cette mission) furent choisis. Ce type d’organisation s’inspire des missions anglo-américaines type Jedburgh, dont le but était non seulement le renseignement mais aussi l’encadrement des maquis, l’organisation d’actions de sabotage et de guérilla pour retarder au maximum la progression des troupes allemandes. Pour André Jacolin et Elisabeth Torlet, pas question de cela, leur rôle est bien défini : au Capitaine Jacolin la tâche de récolter l’information, à Elisabeth Torlet celui d’informer Alger 24 heures sur 24 de la situation militaire dans le secteur. Pas question non plus de chercher à venir en aide aux maquis généralement plus que méfiants envers tout agent en provenance d’Afrique du Nord ! Au dernier moment, un troisième agent est rattaché à l’équipe : Marie-Antoinette Verbeschlag, alias Jacqueline Valmont, alsacienne, dont les talents d’interprète pouvaient s’avérer utiles.

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Attestation d’appartenance au réseau Jorxey – Action R.D. des FFC (Forces Françaises Combattantes) comme agent P2 (niveau 2 avec homologation au grade de Sous-Lieutenant) (Droits réservés, M.F.Filliatre, M.Berger)
Agent-P1
Attestation d’appartenance au réseau Jorxey – Action R.D. des FFC (Forces Françaises Combattantes) comme agent P1 (temps partiel) (Droits réservés, M.F.Filliatre, M.Berger)

La préparation de la mission

André Jacolin en compagnie de quelques élèves du Club Résistance, 9 mars 2004, Collège Geneviève de Gaulle-Anthonioz des Bordes (Droits réservés, Benoît Momboisse)
André Jacolin en compagnie de quelques élèves du Club Résistance, le 9 mars 2004, Collège Geneviève de Gaulle-Anthonioz des Bordes (Droits réservés, Benoît Momboisse)

L’organisation de la mission fut donc confiée au Capitaine André Jacolin, que les élèves du Club Résistance du Collège des Bordes ont eu la chance de retrouver après plusieurs mois d’efforts, 60 ans après les faits. Monsieur Jacolin accepte alors immédiatement de venir les rencontrer au collège. Dans cet entretien, il nous raconte la préparation de sa mission, depuis son recrutement et celui de l’équipe jusqu’au décollage la nuit du 5 au 6 août 1944. Les difficultés d’organisation, les moyens dérisoires mis en oeuvre, ses relations avec Elisabeth Torlet, les risques encourus, son témoignage montre bien toute la difficulté de mener à bien de telles missions.

André Jacolin, né en septembre 1914, est mobilisé en 1939 après 7 ans de service militaire. Formé à l’Ecole d’agriculture coloniale en Tunisie, il sert en Tunisie jusqu’en juillet 1940. Démobilisé après l’armistice, il est rappelé le 11 novembre 1942 après l’opération Torch, et intègre l’armée française du général Weygand, toujours en Tunisie, qui combat avec des moyens de fortune et l’aide bien dérisoire au départ apportée par les Anglo-américains. En 1943, il rejoint la compagnie d’Etat-major de la 3ème DIA du général de Montsabert. L’objectif, préparer le débarquement prévu en Italie sous les ordres du général Juin. Mais la veille du débarquement, il est rappelé à Tunis en compagnie de 120 officiers, et à la demande du général Giraud, pour former une nouvelle unité, la 3ème DB. Le projet finalement abandonné le laisse sans affectation. C’est alors qu’il est recruté dans les SR, les services de renseignement, et qu’il prépare la mission JorXEY dont il nous fait le récit détaillé basé sur le rapport de mission circonstancié qu’il a souhaité laisser à disposition des élèves et que vous pouvez donc parcourir ci-dessous :

Avril 1944 –Septembre 1944

J’eus la chance de rencontrer à Tunis un lieutenant, colon dans le civil vers le sud tunisien, vers Sidi Bouzid, lequel, avec une faconde plus que Marseillaise, me raconta ses « aventures et prouesses » dans le SR Français. Je fus très impressionné ! J’appris par la suite qu’il en avait inventé quelques unes de toute pièce, y compris son débarquement clandestin en Sardaigne ! Bref l’essentiel fut que, sur ma demande, il s’engagea à me présenter au colonel Niel qui, du Kef où il s’était replié lors du débarquement Allemand sur Bizerte avait évidemment regagné Tunis dès la reddition des troupes de l’Axe. Il était responsable pour la Tunisie du « Bureau des études et des recherches ». Je fus en effet reçu par lui et ses adjoints. Au cours de cette première rencontre il sonda le « bonhomme » et ses intentions. L’examen dut être positif car peu de temps après, le temps, probablement de recueillir quelques renseignements et confirmation de mes dires, il fit commencer mon instruction. Je logeais à Tunis, prenait mes repas au mess des officiers, avenue de France, ne voyais et ne fréquentais pratiquement personne si ce n’est au mess mon cousin Alfred Charmetant Lieutenant de Tirailleurs. Le colonel Niel confia mon instruction à un civil qui connaissait parfaitement l’organisation de l’Armée Allemande, son aviation et celle des alliés… Nous nous retrouvions tous les matins dans un appartement totalement vide de mobilier si ce n’est deux chaises et une table minuscule. C’était lugubre et plus que monastique avec les murs peints à la chaux. Et l’après midi j’apprenais les leçons reçues.

Là je me familiarisai avec l’organisation de la Wehrmacht.

Pour l’armée de terre :

depuis les grades, les couleurs et les tenues, les insignes, fanions, signes conventionnels et signes tactiques de chaque arme, etc … Puis la composition des bataillons, régiments, divisions normales, type SS, montagne, motorisée, panzer, etc … en hommes et en matériel. Longueur des colonnes en marche et à l’arrêt, etc… Identification des inscriptions sur les véhicules, de la numérotation des unités, des abréviations, etc… Caractéristiques des chars, autos mitrailleuses, canons, etc…

De même pour la Flack :

Reconnaissance des types d’avions allemands et alliés vus de face, de profil, de dessous. Tout cela fut complété :

– par la détermination de la valeur des sources de renseignements

– les précautions à prendre dans la recherche des agents

– les différents pièges ou fautes à éviter

– les « trucs » du métier

– les fausses cartes d’identité, les tickets d’alimentation…

– et surtout la transmission des renseignements : par radio, courrier, etc…

12 juillet 1944

De Tunis, ma préparation étant terminée, je suis envoyé à Alger où je me présente au PC du commandant Simoneau 17 rue Charras. Je suis placé sous la coupe du Lieutenant de Tergoul chargé des envois en mission.

24 juillet 1944

Devant être parachuté je pars m’entraîner près d’Alger, chez les Américains, au club des Pins. Premiers contacts avec la cuisine américaine. Je me souviens entre autres du bœuf bouilli assaisonné à la moutarde et à la confiture de groseilles ! Grande surprise pour mon palais français !

28 juillet 1944

Entraînement intensif théorique et pratique ; avec exercices à la poulie, roulés boulés, etc…puis premier saut. Nous décollons du terrain d’aviation de Blida. Un fort vent nous pousse sur un vignoble abandonné mais couvert de piquets de fer. Je ne me suis pas empalé ! Mais je me fais une foulure au genou ; d’où convalescence que je passe chez mon oncle Jean Charmetant à Creteville (Mornag) près de Tunis. Je raconte à mon oncle que je suis tombé dans un escalier.

9 août 1944

Je reviens au Pin où je subis les sauts réglementaires. Avec le Lieutenant de Tergoul on discute de ma mission. Originaire de la région Lyonnaise je propose mon parachutage dans les Dombes d’où je pourrais facilement rejoindre parents et amis pour m’abriter. Mais le débarquement en Provence le 15 août 1944 : Opération Dragoon, remet en cause ce projet et un nouveau point de chute est recherché et trouvé au Nord de Pierrefontaine dans les Varans (Doubs) entre la D31 et la D32 avec possibilité de trouver dans ce secteur des gîtes amis dont les signes de reconnaissance m’étaient évidemment communiqués (Carte Michelin n°66). Le SRO prévoyant l’avance des troupes Alliées le long de la vallée du Rhône puis de la Saône cherchait à lancer des équipes qui l’informeraient sur le mouvement des unités Allemandes, leurs lignes de repli et de défense, leur nature, leurs effectifs, leur stationnement, leur équipement, etc… Or dans ce secteur Est – qui allait devenir un secteur stratégique – les renseignements faisaient gravement défaut depuis la destruction des antennes de Dijon et Reims et les graves difficultés du réseau Marco dans cette région Est. En même temps on constituait l «équipe » c’est à dire le ou la radio devant accompagner le chef de réseau. C’est alors que je fis connaissance de l’Aspirante Elisabeth Torlet.

Cette jeune AFAT avait à Casablanca une sœur aînée mariée. Cette dernière attendant un bébé, c’était en 1942, Elisabeth et sa sœur Geneviève partirent de France pour le Maroc pour seconder la jeune mère et visiter ce pays. Mais le débarquement de novembre 1942 les empêcha de rentrer en France. Avec enthousiasme elles s’engagent dans les Transmissions et suivirent ainsi la formation de cette arme, particulièrement un entraînement radio. Lorsque le service du Commandant Simoneau demanda des volontaires pour missions spéciales toutes deux se présentèrent. C’est ainsi qu’elles furent envoyées à Alger et détachées à son service. Elisabeth fut désignée comme radio de ma mission. Nous passâmes quelques semaines à achever notre préparation et en particulier  pour Elisabeth à effectuer des exercices de radio avec le matériel qu’elle emporterait c’est à dire un émetteur récepteur miniaturisé Anglais AR 11 (voir ci-contre), dont nous aurons l’occasion de reparler.

Poste émetteur-récepteur valise AR-11 © Musée de l’Armée, Dist. RMN
Poste émetteur-récepteur valise AR-11 (Source : © Musée de l’Armée, Dist. RMN)

Quant à moi je me familiarisai avec le plan Broadcast c’est à dire le plan de liaison radio : indicatifs, fréquences, heures de contact et tables de transposition c’est à dire codage. Cela nous permit de faire mieux connaissance. Je découvris une jeune fille sérieuse, simple, joyeuse… avec laquelle l’entente paraissait facile malgré les difficultés et les risques qui pouvaient nous attendre. Elle était pleine d’enthousiasme à la pensée de servir sa patrie ou elle avait laissé parents, frère et sœur. Il est difficile actuellement aux jeunes, après plus de 40 ans de paix, d’imaginer l’attachement vibrant que nous avions pour la France. Nous savions les privations les risques et les souffrances que tous enduraient. Nous sentions la délivrance et la victoire approcher. Nous vivions chaque jour le formidable déploiement militaire que les alliés et nous même mettions en place. Et nous étions heureux et impatients de pouvoir participer aux événements qui se préparaient.

Il n’y avait pas excitation de notre part. Tout se faisait avec méthode et calme ainsi que tout homme d’action doit agir. Mais toutes nos volontés étaient tendues vers la libération de ceux que nous aimions et du sol auquel nous conférions le mot sacré. Les jeunes générations qui jouissent aujourd’hui de la liberté ne peuvent en apprécier vraiment sa valeur. Elle leur paraît tellement naturelle qu’il ne leur effleure pas à l’esprit qu’elles pourraient en être privées. Ils n’ont plus ni la connaissance ni même l’intuition qu’elle est l’essence même de l’homme. A cette époque c’est dans la souffrance et le sang qu’il fallait la conquérir. Qu’ils ne sourient pas de notre patriotisme. Nos regards étaient tout autres !

Tout parachutage se fait dans les quelques jours qui, avant et après, encadrent la pleine lune. Dans cette attente le Lieutenant de Tergoul s’occupe aussi de la formation d’une deuxième mission baptisée « Carolles » sous les ordres des J.M. Bressand accompagné d’un coéquipier le Lieutenant Picot et une radio. Puis le lieutenant de Tergoul me présente une jeune fille Marie Antoinnette Verbeschlag dont le nom de guerre fut Jacqueline Valmont en me demandant si j’acceptais de l’incorporer à ma mission. Comme elle parlait couramment l’Alsacien j’acceptais prévoyant que je serais appelé à remonter vers le territoire de Belfort et dans le Haut Rhin. Quelques jours auparavant le Commandant Simoneau m’emmène au bureau de Jacques Soustelle qui le 27 novembre 1943 avait été nommé par décret du Général de Gaulle « Directeur Général des Services Spéciaux » (DGSS) pour me présenter avant mon départ et lui exposer ma mission.

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B24 Liberator (Source : © en.wikipedia.org)

Matériel à parachuter : ravitaillement, armement, matériel radio, vêtements, etc… sont réunis, placés dans des containers. Les parachutes du personnel et du matériel devaient être fournis par les Anglais. Il ne restait plus qu’à trouver l’avion qui accepterait d’effectuer cette mission. Seule une Forteresse Volante*, vu le point de chute et donc la distance aller retour à parcourir, pouvait emporter le carburant nécessaire pou cette mission. C’était la limite extrême de ses possibilités. Cet avion, le plus gros des avions alliés avait :

– 4 hélices à 3 pales

– une autonomie de 3000 kms

– un armement de 13 mitrailleuses de calibre 50

– il pouvait transporter 8 T de bombes

* l’avion utilisé est en réalité un B24 Liberator, probablement du 885th Bomb Squadron de l’USSAF (armée de l’Air américaine), le surnom de Forteresse Volante (Flying Fortress) étant donné au B17 chargé de missions de bombardement à plus long rayon d’action.

Nous sommes sous pression mais plusieurs fois la mission est reportée soit parce que le ciel n’était pas favorable dans l’Est de la France, soit parce que l’avion n’était pas disponible, soit parce que les Anglais n’avaient pas apporté les parachutes… ! La pleine lune approchait, on voyait avec inquiétude passer les jours et la chance de notre expédition. Matériellement nous étions prêts. Avec Elisabeth Torlet j’assiste à une ultime messe. Nous savons qu’ayant accepté cette mission notre vie est sacrifiée car il n’y aura personne pour nous aider ou nous assister. Nous serons seuls en face de l’ennemi, sans témoin. Nous sommes prêts à jouer « notre honneur et notre vie ». On doit se défier de tout le monde et ne se confier à personne. On sait rarement si le travail risqué qu’on fait est exploité et utile ! Quant à ceux qui nous envoient ils doivent rester « indifférents » aux risques qu’ils nous font courir. Ils espèrent seulement que la mission sera efficace en souhaitant bien récupérer leurs agents ! Nous sommes tellement confiants que notre calme est total.

La mission au jour le jour, 30 août-12 septembre 1944

Mercredi 30 Août

Enfin le mercredi 30 août les deux équipes se rendent une nouvelle fois au terrain d’aviation de Maison-Carrée*. Avion et parachutes sont à pied d’œuvre. Les missions étaient toujours accompagnées sur le terrain d’envol par le Lieutenant de Tergoul pour des raisons de sécurité et d’amitiés confiantes qui s’étaient instaurées entre lui et les partants pendant tout le temps des préparatifs. Mais à cette date il était parti avec le Commandant Simoneau et le Lieutenant Pax (dont je parlerai dans la 3ème partie de ce rapport) rejoindre en Italie le Corps Expéditionnaire Français du Général Juin. Aussi nous fûmes confiés à un Lieutenant d’aviation. Celui-ci n’appartenait pas, je crois, au SR, mais aurait été envoyé par son arme pour nous présenter à l’équipage Américain et assurer notre départ. Or, le 25 mai 1990, lors de l’AG de l’ASSDN qui s’est tenue à Paris au Cercle des Officiers, je déjeunais à côté de Monsieur JM Bressand, chef de la mission Carolles. Il me rapporta alors le fait suivant. Ce lieutenant d’aviation aurait été au « service » du SR Allemand. Connaissant notre point de chute dans le Doubs il l’aurait communiqué dès notre départ à l’ennemi. Ceux-ci avaient alors monté un « Comité d’accueil ». JM Bressand m’a précisé qu’il avait reçu cette information du Commandant Robert de la DGSS où il s’était rendu à Paris en 1944. Celui-ci lui indiqua que cet officier fut la cause de l’échec et de la capture de plusieurs parachutages et de débarquements par sous-marins. Plusieurs missions se termineront en effet à cette époque tragiquement, et les transports par sous-marins furent arrêtés. Intrigué par cette information, j’ai cherché à en avoir confirmation. Malheureusement le commandant Robert était décédé à cette date. Le Colonel Simoneau anisi que tergoul, consultés, m’ont dit n’en avoir jamais eu connaissance. Le Commandant Paillote m’affirma qu’à cette époque ses services avaient détruit tous les postes émetteurs ennemis en Afrique du nord. Connaissant les rapports difficiles entre Paillote et Bressand je restai perplexe….Je croirais plus volontiers le Commandant Paillote mais planer sur cette question un grand point d’interrogation.

* André Jacolin fait là référence à l’aérodrome de Maison-Blanche ( et non Maison-Carrée) au Sud-Est d’Alger, appelé ainsi à l’époque de l’Algérie française, aujourd’hui rebaptisé aéroport international d’Alger-Houari Boumediene à Dar El Beïda

18H30

Embarquement puis décollage à 18h30. Nous avons juste le temps d’admirer de haut Alger, puis la Méditerranée, les côtes de Provence et nous remontons vers le Nord en passant sur les Alpes pour éviter la Flack de la Vallée du Rhône. Nuages sur les Alpes. Nous apercevons cependant, dans quelques trouées les sommets neigeux. Nous subissons un orage avec force éclairs. Du « belvédère » arrière de l’avion le spectacle est féérique.

23H30

Nous poursuivons sur la Bourgogne. Puis l’avion ralentit, perd un peu de la hauteur et à 23h30 le feu rouge qui nous avertit de nous préparer s’allume. Nous enfilons les harnais et vérifions la bonne et solide fixation de la boîte de jonction. Les accompagnateurs enlèvent le panneau qui obture la trappe. Les trois de l’équipe Carolles sont lâchés lorsque le feu vert s’allume. Il était alors prévu qu’après un tour de trois minutes la deuxième équipe serait lâchée avec tous les containers au vu des premiers parachutes étalés sur le sol. Mon équipe s’asseoit alors autour du trou d’hommes les jambes pendantes, nos mains sur le rebord pour nous lancer au centre du trou lors du signal, afin tomber bien droit. Le filin est attaché au-dessus de nos têtes. Nous fixons le feu vert qui nous donne le fameux signal du « go ». Mes deux équipières sautent alors les premières et je suis, alors que l’équipage lâche à cet instant les bagages.

Le ciel est d’un bleu intense.

Nous devions être parachutés à l’altitude d’environ 400 m. En réalité nous avons étés largués de beaucoup plus haut. Peu importe car ce saut par une trappe au plancher me semble beaucoup plus facile que par la porte du Dakota d’entraînement. On risquait toujours que les suspentes du parachute s’accrochent à l’empennage. La voiture s’ouvre, les sangles claquent sur les épaules.

Ce lâcher à cette hauteur est cependant un inconvénient. En tout cas cela prolonge notre descente et notre balancement dans un ciel silencieux ! La clarté de la lune est éblouissante, on pourrait lire son journal ! La vue sur les collines, forêts, vallons et prés est grandiose, on est saisi par la netteté et la beauté du paysage. Arrivant d’Afrique du Nord où, en période estivale, tout est desséché je suis ébloui par le vert des prés et des bois. Mais le sol se rapproche, ou plutôt selon la sensation bien connue des parachutistes il semble monter vers nous. Je colle mes genoux et les plie légèrement pour réaliser le roulé boulé. J’atterris sans difficulté au milieu d’un pré. Il faut faire vite : écraser le parachute au sol car il a tendance à rester gonflé sous l’effet de la brise et sa soie naturelle blanche si belle est peu visible sur le bleu du ciel, fait tâche sur le vert de l’herbe. Je dégraffe le harnachement. Cependant je m’étais promis d’embrasser, à mon atterissage le sol de France. Je le fis !… mais sans m’attarder. Moment émouvant.

Je regarde les corolles de soie artificielle bleues et rouges des bagages de nos deux équipes descendre dans ce même pré. Je n’aperçois pas mes deux coéquipières, encore moins les hommes de la première mission. Je me précipite sur les deux containers et les trois bagages-ballots. Un container manque mais je plie les parachutes et transporte les quatre bagages retrouvés en lisière du pré pour les cacher dans les broussailles. Il faut que je retrouve mes équipières. Je pars à leur recherche, traversant barbelés, prés et talus. La vue ne s’étend pas loin car la région est très vallonnée. Subitement j’aperçois au-dessus des collines arriver des cumulonimbus, forme de nuages généralement annonciateurs d’orages. Sur le ciel bleu ils se détachent comme des chevaux au galop. En quelques minutes le ciel est assombri, le vent s’est levé, la lune disparaît derrière les nuages, la visibilité devient presque nulle, puis la pluie tombe violemment.

Jeudi 31 Août

0 heure

Je continue ma descente à travers haies et champs clos. Il est curieux de revenir clandestinement dans son pays pour participer à sa reconquête. L’officier habitué à « travailler » en tenue de campagne en contact permanent avec ses troupes est devenu un civil isolé qui doit se glisser incognito dans un univers inconnu et souvent hostile. J’arrive enfin sur une petite route. Faut-il la descendre ? Faut-il la remonter ? Aucune indication. Aussi toute décision sera l’effet du hasard. Où sont les Allemands ? Y en a-t-il dans ce secteur ? Je remonte et trouve une borne kilométrique. Jetant ma veste sur ma tête et la borne j’allume ma lampe de poche. Les noms que je lis me sont totalement inconnus.

Les Américains se sont trompés et nous ont lâchés à 35 km du point prévu dans les bois du Miémont au NE de Sourans. (Carte Michelin N°66 1/200 000 ème 6°40/47°25). Il faut dire qu’ils pensaient surtout à rentrer à Alger sans user leur réserve d’essence, toute recherche étant pour eux, sans intérêt ! Tout point de chute était pour eux équivalent. Nous sommes loin de la précision et de la conscience des aviateurs Anglais. Sous la pluie je parcours donc la D118 lorsque j’entends des pas se rapprocher. Etaient-ce des civils, des Allemands, mes coéquipières ? Je me couche dans le fossé. La nuit est tellement noire que les marcheurs durent passer quelques mètres de moi pour que je reconnaisse leur silhouette. C’était mes coéquipières ! Je les appelle et elles me racontent leur atterrissage dans le vallon en dessous de la route : Jacqueline dans un pré et Elisabeth… dans un arbre. Vu l’obscurité des sous bois Elisabeth se rendait difficilement compte à quelle hauteur elle était accrochée. Elle défit son harnais et sauta se recevant au sol heureusement sans dommages ! Au bout d’une vingtaine de minutes elle rencontra alors Jacqueline et toutes deux remontèrent du vallon où elles se trouvaient vers la route. La chance en cette nuit était avec nous.

5H00

A 5 heures nous arrivons tous trois au hameau du Rochet (intersection de la D 35 et D 118) qui dépend du village de Sourans. Deux maisons, une à droite, l’autre à gauche de la route. L’une plus confortable, l’autre plus modeste. A laquelle frapper ? Je me décide pour celle de gauche, la plus modeste. Il pleut toujours, le jour n’est pas encore levé. Nous sommes trempés jusqu’aux os et faisons misérables ! Nous frappons. Le propriétaire, cantonnier dans ce secteur, Monsieur Charles Bertenand nous ouvre. Nous devons nous présenter : « nous nous sommes perdus, nous sommes recherchés par les Allemands… » Il est un peu méfiant et je le comprends ! Sa femme arrive. En nous voyant dans ce triste état elle s’apitoie et nous fait entrer. Assis tous les trois autour de leur table elle ranime son fourneau pour nous sécher. La conversation continue et jouant le tout pour le tout nous leur apprenons que nous arrivions d’Alger et venions d’être parachutés. Il a fallu que nous leur montrions notre chocolat !, nos cigarettes Américaines… pour les convaincre. Très vite rassurés, ils sont fiers de nous apprendre qu’ils ont deux fils et un gendre dans la Résistance. Alors ils acceptent de nous accueillir et se félicitent que nous nous soyons adressés à eux car, en face, ce sont des Suisses Allemands dont ils se méfient ! Après quelques instants de repos nous sommes pressés d’aller rechercher, au lever du jour, bagages et parachutes.

Le cantonnier nous accompagne avec une charrette. Nous les retrouvons facilement et repérons aussi le container perdu dans la nuit. Nous allons récupérer le parachute d’Elisabeth resté suspendu dans l’arbre. Je pense, par prudence, brûler les parachutes. Mais madame Bertenand s’y oppose car les tissus étaient rares. Rapidement elle les découpe pour confectionner des robes à ses deux derniers enfants : deux petites jumelles de 7 ou 8 ans ! Toujours aucune nouvelle de l’autre équipe. Aussi je pars avec le cantonnier à sa recherche dans les alentours et villages voisins. Mais en vain.

A 18 H 00 nous voyons arriver un jeune FFI qui avait été envoyé par Carolles à notre recherche. Nous apprenons alors que la première équipe a été parachutée à 8 ou 10 Kms à vol d’oiseau, soit une vingtaine par la route, de notre point de chute. Le tour fait par l’avion entre les deux sauts n’avait cependant duré que 3 ou 4 minutes ! Nous ne pouvons malheureusement émettre et annoncer à Alger notre arrivée car tout le secteur est privé d’électricité. 

Vendredi 1er Septembre

L’équipe Carolles vient rechercher son container et son colis.

Samedi 2 Septembre

Jacqueline et moi muni d’un passe droit de la Résistance partons à pied aux usines Peugeot acheter des bicyclettes. L’usine est complètement arrêtée. I] reste encore quelques vélos. Nous en achetons trois et rentrons au Rochet.

Dimanche 3 Septembre

RAS si ce n’est qu’il n’y a toujours pas d’électricité (et que j’ai trente ans ce jour là).

Je circule dans les environs. Cela me permet d’observer quelques mouvements de véhicules Allemands, en particulier le passage (ou l’arrivée) de trois officiers et de leur chauffeur dans une jeep qui descendent sur l`Isle sur le Doubs. Un des officiers est Général de l’Armée de l’Air. En effet nous savions que suite à l’hécatombe subie par leur aviation où ils étaient devenus superflus, beaucoup d’officiers de la Luftwaffe avaient été mutés dans l’Armée de Terre. Ce général venait-il prendre le Commandement du groupe stationné à l’Isle sur le Doubs ? Etait-il seulement en inspection dans son secteur ?

Lundi 4 Septembre

Enfin le courant est revenu. Aussitôt nous installons au grenier, dans la charpente, une grande antenne et essayons d’envoyer à la Centrale d’Alger notre premier message. Celle-ci ne répond pas à notre appel. A tout hasard Elisabeth envoie le message d’arrivée.

J’apprends que nos trois cartes d’identité ne sont plus valables car elles étaient datées de plus d’un an et n’avaient pas été prolongées. La mairie de Sourans nous les régularise. Enfin Alger n’avait pu nous procurer les cartes d’alimentation du troisième trimestre 1944. La mairie nous en donne. Je ne puis trouver de cartes détaillées de la région. Heureusement la médiocre carte du calendrier des postes m’apporte quelques lumières sur notre position. Me rendant compte que dans notre situa­tion trop isolée nous ne pourrions faire grand travail j’envisage le déplacement de notre implantation. Belfort me semble être une zone plus favorable. Aussi Jacqueline ayant dans Belfort même des amis dont elle est sûre, munie de quelques bagages, de son vélo et d’argent elle y part afin d’y préparer notre hébergement. Je lui demande de revenir nous piloter sur ce gîte si possible avant le jeudi 7 septembre. Ni dans cette première partie de la mission ni dans la deuxième phase je ne l’ai revue. Ce n’est que plusieurs mois après, en zone libérée, que j’ai pu la rencontrer. Elle m’apprend que terrée chez ses amis elle n’en a plus bougé jusqu’à la prise de Belfort. Il était en effet devenu assez difficile de circuler, le front s’étant stabilisé et étant donc devenu continu.

Ce même jour, piloté par la soeur d’un chef de la résistance, je me rends à pied à Montecheroux et au Fort du Lomont, pour, conformément à mon ordre de mission, essayer d’organiser une boîte aux lettres avec la Suisse. Je rencontre le responsable du service de sécurité du groupe FFI du Fort de Lomont. Il refuse de m’apporter cette aide. Etait-ce par prudence ? Etait-ce du fait de la rivalité qui existait chez beaucoup de résistants Français contre les agents venus de l’extérieur : Angleterre ou Afrique du Nord ?

Mardi 5 septembre

8H00

Je rentre au rochet à 8H00. J’apprends que les FFI circulent dans les bois environnants. On sent chez tous une tension.

18H00

Les FFI attaquent l’Isle sur le Doubs, situé à 6 kms au Nord, sur la rive gauche de cette rivière. La fille du cantonnier, Cécile Bertenand, qui a deux frères et son fiancé dans la résistance, part en vélo au village de Blussans pour essayer d’avoir de leurs nouvelles.

18H15

Sentant que nous étions dans la zone d’action, je décide de partir aussi aux renseignements. Le cantonnier et Elisabeth me suivent. Nous déposons nos vélos à Blussans, nous nous dirigeons vers l’Ouest, traversons un petit bois qui débouche sur des prés et des cultures. Nous rencontrons quelques gens du village. Au bout du champ se trouve la grande route (N83) bordée d’arbres sur laquelle nous apercevons camions, autocars et VL (véhicules légers) des FFI. Puis nous rencontrons quelques FFI qui gardaient trois prisonniers Allemands. Seul je continue d’avancer et rencontre le Lieutenant Commandant la section qui occupait ce secteur. Je lui offre de lui apporter les quelques armes qui avaient été parachutées dans nos bagages. En effet, connaissant l’avance des alliés, la prise de Besançon et surtout voyant le misérable armement de ces jeunes résistants : révolvers de salon avec poignée incrustée de nacre ! et autres armes disparates et vétustes, surtout réalisant que certains ne possédaient même aucune arme… j’ai pensé que mon matériel pourrait leur être plus utile qu’à moi étant donné la nature de ma mission. Je me demande comment ce groupe de FFI a eu la témérité d’attaquer de front cette position de l’Isle sur le Doubs où les Allemands s’étaient regroupés en ordre, avec armement, automitrailleuses, munitions…. Ils ne pouvaient ni les surprendre ni les attaquer vu la faiblesse de leurs moyens ! Il est vrai que tous ces jeunes qui vivaient depuis des mois dans une certaine inaction au fort de Lomont rêvaient d’en découdre avec l’ennemi avant que l’armée qui avait débarquée en Provence ne les dépasse. Ils étaient d’autant plus pressés que les radios leur annonçaient la remontée rapide des Alliés : prise de Lyon et progression du sixième Corps Américain et du deuxième Corps Français du Général de Lattre de Tassigny sur Besançon et Dijon. J’annonce au Lieutenant que, dans une heure, je lui apporterai cet armement.

Nous remontâmes tous au Rochet et je précisais que seul le cantonnier et moi redescendrions à Blussans. Les jeunes filles protestèrent en arguant du fait que tous ces jeunes, après une nuit très froide passée à la belle étoile, n’avaient pas déjeuné et ne recevraient vraisemblablement pas de repas ce soir. Elles voulaient leur apporter du ravitaillement. Me rendant à ces arguments j’acceptai en leur faisant promettre qu’elles rentreraient aussitôt. En effet je pensais m’attarder un peu dans les parages pour suivre l’évolution de la situation. Les filles chargèrent donc sur leurs porte bagages boîtes de conserve, pain etc… pendant que je déterrais les armes. Tous les quatre nous redescendons Blussans.

Tandis que Charles Bertenand et moi posions nos vélos dans une grange, les filles poursuivaient le chemin sous bois en poussant à la main leurs vélos et, de ce fait, nous précédaient de quelques dizaines de mètres. A cet instant arrive une Citroën pilotée par un Lieutenant FFI. Me voyant armé, il me demande à quel groupe j’appartenais. Je reconnais cet officier pour l’avoir aperçu lors de ma visite au fort de Lomont. En quelques mots je lui explique ma situation. Il descend de sa voiture, m’ordonne de la garder et se dirige à pied sur le chemin forestier. Il rejoint les jeunes filles alors qu’elles allaient déboucher du bois et qu’elles venaient de s’arrêter surprises en apercevant devant elles une dizaine d’Allemands en colonne par un. Aussitôt elles posèrent à terre leur vélo et se jetèrent dans le fourré. Le Lieutenant déchargea un chargeur de mitraillette puis se retira laissant les jeunes filles. Revenant à sa voiture précipitamment, il me dit que les deux jeunes filles étaient prises et me fit monter avec le cantonnier ainsi que deux jeunes gens dont un gendarme qui l’accompagnaient dans sa voiture. Par des pistes il rejoint la D31 où nous rencontrons un petit groupe de FFI transportant un homme blessé au ventre. Nous chargeons le blessé dans la voiture. Le Lieutenant me sonne l’ordre de rester avec ce groupe et de nous diriger sur Glainans. Quant au cantonnier il le renvoya chez lui. Ce groupe d’une vingtaine d’hommes n’avait ni officier ni sous-officier. Ils étaient totalement désemparés. Un jeune se précipite sur moi et crie à ses camarades « voilà quelqu’un du PC, on n’a qu’à le suivre ». Les voyant démoralisés et exténués, je pensais qu’il était inutile de le détromper. Parmi eux se trouvaient trois prisonniers Allemands. Certains, les trouvant embarrassants dans cette retraite précipitée voulurent les abattre. Je m’y opposai et on les intercala dans notre file indienne. Au cours de cette marche nous avons ramassé quelques groupes perdus, encore une vingtaine d’hommes parmi lesquels se trouvait un chef de groupe.

Arrivé à Glainans nous devions attendre les ordres. Mais ce village était situé sur la grande route Clerval-Pont de Roide. La majorité estima ce secteur peu sûr au cas où les Allemands pousseraient leur contre-attaque. Nous poursuivons la route au-delà du col de Ferrian jusqu’à Vellerot. Il était près de minuit. Après avoir reçu des habitants quelque ravitaillement, tous les hommes, harassés se couchèrent dans des granges tandis que les jeunes présents dans ce village étaient mobilisés pour surveiller les routes d’accès.

Mercredi 6 Septembre

2H00

Une sanitaire FFI passe par le village. J’y fis monter un jeune qui était légèrement blessé et les trois prisonniers Allemands. Puis une estafette motocycliste nous apporte l’ordre de rejoindre Glainans à la pointe du jour.

4H00

Je réveille tout le groupe. Une vive discussion s’engage entre eux et tous décident de prendre encore du repos. J’arrive cependant à en convaincre une vingtaine de me suivre lorsqu’un violent orage éclate. Ils renoncent alors à partir. Je peux emprunter un vélo et je me rends à Glainans où je trouve un capitaine FFI que je mets au courant. De là, à pieds, je me rends en hâte au Rochet, où je retrouve la famille du cantonnier y compris leur fille Cécile, mais pas Elisabeth. Cécile m’apprend qu’elle avait pu échapper aux Allemands en se roulant et se cachant dans des ronces. Elle était d’ailleurs déchirée et enflée de mille écorchures. Mais elle avait vu les allemands emmener Elisabeth.

8H30

Accompagné du cantonnier je descends aussitôt à Blussans. De là à pieds nous parcourons le même sentier forestier que la veille.

8H45

Arrivé à la sortie du bois, à l’entrée des prés on apercevait à 800 ou 1000 mètres les Allemands qui stationnaient avec leurs blindés sur la grande route N83. A proximité les camions des FFI abandonnés. Je pense qu’Elisabeth a pu être emmenée à l’Isle sur le Doubs à la Feldkommandantur. J’y descends en vélo toujours avec le cantonnier. Peu de civils circulent dans les rues. Nous arrivons à la mairie. Nous voyons le maire et quelques personnes sûres. Toutes nous disent n’avoir aperçu aucune jeune fille entre les mains des Allemands. En sortant de la mairie Charles Bertenand rencontre un de ses fils Robert, 15 ans, qui travaillait dans une ferme des environs. Vu les événements son employeur le renvoyait chez ses parents.

12H00

Nous remontons sur Blussans lorsque à l’entrée du village un paysan se précipite sur moi et me demande si je ne cherchais pas une jeune fille. Un jeune du village s’était rendu dans les prés au –delà des bois au lieu-dit « les Terres Rouges ». Il avait aperçu une jeune fille qui venait d’être tuée. Effrayé il avait fait demi tour. Nous nous dirigeons tous trois en hâte vers le lieu indiqué.

Nous trouvons Elisabeth à une centaine de mètres au-delà de la lisière du bois, allongée sur la piste qui traversait les prés. Elle avait été tuée d’une balle placée en dessous de l’œil gauche, celui-ci n’étant pas abîmé. Elle ne portait pas de traces de violence, ses yeux, tout son visage reflétaient un très grand calme. Un peu de sang s’écoulait encore de sa bouche. La mort a dû être instantanée.

Ses papiers : carte d’identité et d’alimentation et la lampe électrique Française qu’elle portait sur elle avaient été enlevés. Sa montre était arrêtée à 9h15. Sous le regard des Allemands qui en ce moment même mettaient le feu aux camions FFI, le cantonnier , son fils et moi l’avons soulevée pour la ramener au village. Là nous l’avons chargée sur une charrette prêtée par un paysan et nous sommes partis pour le Rochet où nous sommes arrivés à 13h30. La douleur de tous ces braves gens fut émouvante. Nous l’avons installée sur un lit dans une chambre du rez de chaussée de la maison des Bertenand. A tour de rôle on se remplaçait pour la veiller. Les Bertenand étalèrent sur le lit un drapeau tricolore sur lequel ils avaient épinglé un insigne FFI. Le hameau du Rochet et Sourans dépendaient du curé de Lanthenans. Celui-ci chargea de faire préparer la fosse et de trouver des porteurs pour la cérémonie de l’enterrement prévue le lendemain. Le beau-frère du cantonnier, qui était menuisier de métier, fabriqua un cercueil.

Jeudi 7 Septembre

Le maire de Lanthenans, Monsieur Billaud, le curé Monsieur l’Abbé Meyer, ainsi que les Bertenand avaient organisé toue la cérémonie.

9H30

Sous la pluie une charrette paysanne emporte le cercueil recouvert du drapeau tricolore à Lanthenans distant d’environ 1km. Nous suivons tous le convoi. Mais je ne puis m’empêcher de penser aux risques que nous faisons courir à toute cette population. Ce convoi tricolore, après les incidents des derniers jours, aurait certainement attiré l’attention des Allemands si par malheur ils avaient circulé sur cette route à cette même heure.

10H00

L’église était drapée en grand deuil ainsi que cela se pratiquait à cette époque. Quatre jeunes filles rentrèrent le cercueil à l’Eglise. La messe des morts fut chantée par le chœur de la paroisse. Tout le village était présent. Puis ce fut l’absoute et la mise dans la fosse dans le cimetière qui entourait l’église. Les habitants du village alors se dispersèrent. Tandis que le prêtre se rendait à la sacristie pour enlever ses habits sacerdotaux je le suivis pour le remercier.

J’avoue qu’en cet instant, seul en face de lui je ne pus retenir mon émotion, revoyant tous les moments tragiques que je venais de vivre. Quelle était ma responsabilité dans ce drame ? Etait-ce la fatalité ? Ce n’était pas de ma part, je pense, pas faiblesse mais il fallait que les nerfs relâchent un peu.

12H00

Quelles dispositions prendre ? Quels risques existaient ? J’avais une confiance totale en Elisabeth , ainsi j’étais sûr qu’elle n’avait rien révélé aux Allemands qui n’avaient sûrement pas manqué d’essayer d’obtenir des renseignements , d’autant plus qu’ils avaient été rendus très nerveux par cette attaque des FFI et par l’avance des armées Alliées. S’ils avaient pu se douter qu’elle arrivait en droite ligne d’Afrique du Nord…ils ne se seraient certainement pas « contentés » d’une exécution sommaire mais ils l’auraient transférée à la Gestapo. En accord avec le cantonnier je décidais de rester, d’autant plus qu’il était bien difficile d’improviser un autre domicile et le transport des bagages. J’admire une fois de plus leur courage et leur dévouement alors qu’ils étaient tous parfaitement conscients des risques énormes qu’ils couraient.

14H00

Beaucoup d’affaires : radio, bagages divers, argent, etc…se trouvent dans la maison et les buissons environnants. Je les regroupe tous pour les camoufler dans un bois proche.

18H00

Ces précautions ne furent pas vaines car une Compagnie d’Infanterie Allemande arrive pour cantonner à Sourans. Mais, vu la situation du Rochet sur une hauteur, elle y prend position avec FM, mitrailleuses, voitures de reconnaissance et voitures blindées.

Vendredi 8 Septembre

9H00

Cette Compagnie d’Infanterie est relevée par des artilleurs qui arrivent avec trois pièces de 77 et un char M IV.

18H00

A leur tour les artilleurs sont révélés par une Compagnie d’Infanterie de l’Air. La circulation, sur la route de l’Isle sur le Doubs / Hyemondans est assez active.

Samedi 9 Septembre

Cette Compagnie poursuit son installation et aménage ses postes de tir. Je me rends à Lanthenans pour confier à Monsieur le Curé le portefeuille et la bague d’Elisabeth.

Dimanche 10 Septembre

Durant ces trois nuits nous avons tous couché à la cave des Berthenand au cas où les Alliés attaqueraient cette position.

9H00

Grande agitation chez les fantassins Allemands qui enterrent en hâte des mines. Ils abandonnent leur cantonnement, prenant leurs armes et leurs vélos. On entend au loin le bruit des blindés. On sait combien l’arrivée de blindés est traumatisante pour les fantassins qui se sentent impuissants face à l’acier.

10H00

Un escadron de reconnaissance Français arrive…et l’Infanterie les suit bientôt. A sa tête un capitaine que j’avais beaucoup connu sur la ligne Mareth en 1939/1940, le Capitaine Monge (si ma mémoire n’est pas défaillante) du 4ème RTT. Je le reconnais aussitôt, mais lui hésite un instant étonné de me trouver en ce lieu et en civil ! Je lui explique avec quelle précipita­tion les Allemands ont fui. Ils n’ont pas eu le temps de se regrouper et de préparer une position défensive. Pourquoi les Français ne les poursuivraient-ils pas en direction de l’Isle sur le Doubs ? Alors il m’explique que non seulement ils ont reçu l’ordre d’occuper Lanthenans, Hyemondans et Sourans et d’attendre de nouveaux ordres, mais surtout qu’ils étaient obligés de freiner leur avance car les munitions leur sont contingentées et que surtout l’essence ne suivait pas. Leur progression a été beaucoup plus rapide qu’espérée. Bref la 3ème du I/4ème RTT s’installe dans ce secteur.

La nuit fut calme.

Lundi 11 Septembre :

Au lever du jour je rejoins le Capitaine Monge qui est accompagné de son ordonnance, un tirailleur Tunisien. Nous cherchons quelques signes de la présence ennemie. Hélas nous apprenons vite que les Allemands ne sont pas loin, derrière les haies et boqueteaux qui sont de part et d’autre de la route de l’Isle sur le Doubs. Un premier tir nous alerte. L’ordonnance a la cuisse déchirée par une balle explosive. Une forte contre attaque Allemande se déclenche.

11H

La contre attaque Allemande se poursuit.

Je retire mes affaires : poste radio, etc… du bois, mais je ne peux aller déterrer une valise dans laquelle se trouvait notamment mon argent et qui est cachée à 200 m au Nord de la maison Bertenand, entre les lignes.

19H

A la tombée de la nuit, aidé par Robert, fils du cantonnier, je retire cette valise.

Mardi 12 Septembre

Sur ma demande le 4ème RTT peut prévenir de ma présence le SRO. Une voiture vint me chercher pour m’emmener à Besançon où se trouvait rue Chifflet, le PC du Commandant Simoneau.

En conclusion, il faut reconnaître que les circonstances ne m’ont pas permis de remplir ma mission de renseignements pendant cette première période de mon retour en France… mais que cette semaine là a essentiellement été marquée par la tragique disparition d’Elisabeth Torlet.

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Enquête sur le décès de Mlle Elisabeth Torlet de la Mission Jorxey

Quelques jours à peine après l’exécution d’Elisabeth Torlet, deux officiers des Transmissions mènent une enquête sur sa mort. Le 16 septembre 1944, ils rendent un rapport assez bref et incomplet uniquement fondé sur le témoignage de Charles et Cécile Bertenand, la famille qui a abrité les agents de la mission Jorxey pendant deux semaines. Leur rapport confirme cependant le compte rendu du rapport de mission du Capitaine Jacolin, rapport que vous pouvez également consulter ci-dessous :

Les soussignés Bertenand Charles et sa fille Cécile demeurant tous deux au Rochet par l’Isle sur le Doubs devant nous Lt Beyrard et S/Lt Mereau, déclarent ce qui suit:

Dans la nuit de Mercredi 30 au Jeudi 31 Août,vers 2h30 du matin nous avons été réveillés par des coups frappés à la porte de notre habitation.

Ma femme s’est levée, a ouvert la porte et s’est trouvée en présence de 3 jeunes gens dont 2 jeunes filles. Ils ont déclarée à ma femme qu’ils étaient égarés et lui ont demandé le chemin de Pierre Fontaine les Varans. Voyant que ces per­sonnes étaient trempées par la pluie, ma femme les a invités à rentrer. Ce n’est qu’au cours de la conversation que nous avons engagée que j’ai appris que nous avions à faire à trois parachu­tistes français. J’ai aussitôt offert l’hospitalité à ces jeunes gens et j’ai pris toutes les mesures nécessaires afin qu’aucune indiscrétion ne soit commise et par conséquent les maintenir dans toute la sécurité possible. J’ai moi-même aidé ces personnes dans l’accomplissement de leur mission. Ils ont d’ailleurs installé leur poste émetteur dans mon appartement et Melle Elisabeth a commencé ses émissions.

Le Lundi suivant c.à.d le 4 Septembre, d’après les dires de M.André, chef de mission, Melle Jacqueline devaitse rendre en mission à Belfort. Elle est partie le jour même. Depuis son dépa­rt nous n’avons eu aucun signe de vie de cette jeune fille et nous ignorons si elle est arrivée à destination.

Le Lundi 5 Septembre vers 15 heures ma fille Cécile s’est rendue sur la crête au lieu dit « les Coteaux » pour se rendre compte s’il était possible de descendre à L’ Isle sur le Doubs et y chercher du ravitaillement. Arrivé au lieu dit ma fille a remarqué que des combats se livraient  entre FFI et Allemands. Sur le chemin duretour alors que j’étais accompagné d’Elisabeth j’ai rencontré ma fille qui m’a mis au courant des événements. Tous ensemble nous avons décidé de prendre contact avec les FFl. Ayant appris que ces derniers manquaient de vivres et de munitions nous nous sommes proposés de les ravitailler, d’autant plus que le tout était déposéà notre ferme. Ma fille munie des munitions et armes et vivres de l’équipe Jorxey, Elisabeth également munie de vivres, ainsi  que moi-même et M.André, nous nous sommes dirigés vers le groupe FFI. En chemin M. André et moi nous sommes séparés des deux jeunes filles pour rejoindre le groupe FFI par un autre chemin. Ma fille et Elisabeth accompagnées d’un officier FFI après avoir parcouru environ 500 mètres se sont brusquement trouvés en présence d’un groupe de 50 Allemands environ. Cet officier leur a donné ordre de se replier et de se dis­perser dans les bois. Après avoir fait quelques mètres en arrière à la suite d’un choc violent à la jambe (probablement provoqué par une grenade allemande non éclatée) ma fille a perdu connaissance. Revenue à elle,  elle s’est trouvée couchée dans un buisson entourée d’Allemands qui heureusement ne l’ont pas aperçue et entendu la voie d’Elisabeth qui probablement était prisonnière des Allemands.

A la nuit seulement elle est sortie de son refuge pour entrer chez nous. Inquiets du sort de Melle Elisabeth de qui nous n’avions plus aucune nouvelle nous nous sommes mis à sa recher­che dès le lendemain matin. A Blussans nous avons appris qu’une jeune fille avait été trouvée assassinée par les Allemands au lieu dit « Terre Rouge » situé sur le territoire de cette commune. Rendus sur les lieux nous avons effectivement reconnu le corps d’Élisabeth et avons constaté que sa mort provoquée par une balle tirée à la tête sous l’oeil gauche, était intervenue environ deux heures avant le moment de la découverte c.à.d. à neuf heures; sa montre était d’ailleurs arrêtée à 9hI5. Elle était dépouillée de tous ses papiers. Nous avons ramené son corps chez nous et avons prévenu le maire de Lanthenans par l’intermédiaire de Monsieur le Curé. Les communi­cations étant interdites nous n’avons pu prévenir le médecin qui habite L’Isle sur le Doubs. Avec M.André nous nous sommes occupés  de l’inhumation à laquelle prenait part une très grande assistance. Elle repose au cimetière de Lanthenans (Doubs).

A Lanthenans le 16 Septembre 1944

Certifié sincère et véritable

Charles Bertenand

Cécile Bertenand

Signé :

Lt Peyrard

S/Lt Mereau

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Le temps de la reconnaissance

  • Le 6 février 1945, le général de Gaulle, sur proposition du ministre de la guerre, cite à l’ordre de l’armée avec attribution de la Croix de guerre avec Palme (décision n°362), le sergent Elisabeth TORLET au motif suivant : « Jeune fille animée d’une foi ardente dans les destinées du pays. Volontaire pour participer à une mission de recherche de renseignements en zone occupée par l’ennemi. S’est imposée à tous dès le premier jour par son cran et son dévouement. Prise par les Allemands le 5 septembre 1944 près de l’Isle sur le Doubs, a fait preuve d’un merveilleux esprit de sacrifice en résistant à tous les interrogatoires de la Gestapo. A préféré mourir plutôt que de dénoncer ses camarades de mission. »
Carte-Croix-de-guerre
Citation à l’ordre de l’armée n°362 du 6 février 1945 d’Elisabeth Torlet (Droits réservés, M.F.Filliatre, M.Berger)
Carte-Croix-de-guerre2
Citation à l’ordre de l’armée n°362 du 6 février 1945 d’Elisabeth Torlet (Droits réservés, M.F.Filliatre, M.Berger)
  • 1947, une colonie de vacances en Allemagne est dénommée, sous le patronage de la FNAT (Fédération Nationale des Associations des Anciens des Transmissions), « Colonie Elisabeth TORLET », à Stahringen.
  • Le 14 janvier 1949, transport du cercueil d’Elisabeth TORLET de Lanthenans aux Bordes. Le 15 janvier ont lieu « les obsèques d’une héroïne de la résistance » selon le titre du compte rendu des cérémonies par la République du Centre du 17 janvier 1949.

Les obsèques d’une héroïne de la résistance

« Le vendredi 14 janvier, à 14 heures, un camion du Ministère des Combattants et Victimes de la guerre déposait à la mairie les restes mortels de l’aspirant Elisabeth Torlet, « morte au Champ d’honneur ». Enfant de la commune, elle était la fille de M.Georges Torlet, contrôleur général de la Sécurité sociale, ancien maire des Bordes, et petite cousine de M.A Torlet, maire actuel. Le cercueil fut aussitôt transporté à l’église et une garde d’honneur était assurée par les anciens combattants et prisonniers de guerre. Le samedi, à 13h30 le corps fut amené à la mairie transformée en chapelle ardente, et dès 14 heures arrivaient les autorités officielles prenant part à la cérémonie. Elles étaient reçues dans une salle de la mairie par M.Torlet, maire, membre de la famille. Nous avons noté la présence de M.Benoit, président honoraire du Conseil de préfecture représentant M le Préfet du Loiret, appelé à Paris ; le général de division Merlin, de l’état-major général de l’Armée ; le général de Gournay, commandant la subdivision d’Orléans, venu en son nom personnel et représentant le général commandant la Région ; le capitaine Jacolin, du service des transmissions, qui fut le chef d’Elisabeth Torlet ; M.Delage inspecteur honoraire des Eaux et Forêts ; M.Brucy maire de Bray-en-Val, et M.Dargent, son adjoint ; le chef de brigade Humbert, commandant la brigade de gendarmerie d’Ouzouer-sur-Loire, qu’accompagnait une délégation de gendarmes. M.Girard, conseiller général du canton d’Ouzouer, maire de Saint Benoit sur Loire ; retenu par la maladie s’était excusé. A 14h30 précises, le cortège s’ébranla. En tête marchait la clique des sapeurs-pompiers, puis une délégation des enfants des écoles ; le drapeau de la compagnie des sapeurs-pompiers, cravate de crêpe et sa garde ; le cierge ; le cercueil, porté par les anciens combattants de 1914-1918 et de 1939-1940, qu’escortait une délégation de soldats en arme, au service des transmissions sous les ordres du lieutenant Loyal. Immédiatement derrière, une fillette portait sur un coussin blanc la Croix de guerre avec palme, décernée à Elisabeth Torlet. Le deuil était conduit par M. et Mme Torlet parents de la défunte, par son frère et les membres de sa famille. Derrière venaient les autorités officielles, la municipalité des Bordes, conduite par M.Delahaye, adjoint. Les sociétés d’anciens combattants, de prisonniers , de déportés du travail conduites par leurs présidents respectifs, puis une foule immense suivait, émue et respectueuse. Le cortège, dans un ordre parfait, arrivait à l’église, ornée de tentures noires et de faisceaux de drapeaux. Le cercueil, déposé dans le chœur, disparaissait sous un amoncellement de gerbes blanches, offerte par la famille, la municipalité et les diverses sociétés. Une garde d’honneur entourait le corps. La cérémonie au cours de laquelle alternaient des chants liturgiques et des hymnes funèbres chantés par une lauréate de Conservatoire, était présidée par M. le Curé-Doyen de Sully sur Loire. M.le Curé de Germigny des Prés officiait et donnait l’absoute, de nombreux prêtres étaient présents dans le sanctuaire.

Au cimetière

La cérémonie religieuse terminée, le cortège se reforma dans le même ordre pour se rendre au cimetière. Toujours porté par les combattants le cercueil fut déposé devant le monument aux Morts. Le capitaine Jacolin, dans un discours d’une simplicité émouvante, retraça la vie d’Elisabeth Torlet et son départ pour la dernière mission qu’il accomplit avec elle. Il dit avec émotion le courage de cette jeune fille qui, parachutée en pleine nuit et par un violent orage, perdue dans les bois, et trouva enfin asile chez de brave gens qui l’hébergèrent avec deux de ses compagnons, fit fonctionner tout de suite avec un cran admirable, son poste émetteur et rechercha la liaison avec Alger, puis sa volonté de ravitailler les F.F.I et enfin son arrestation et interrogatoire par les Allemands. M.Pichery, président des anciens combattants de 1914-18, dit ce que fut l’enfance d’Elisabeth Torlet, enfant du pays : caractère simple, n’ayant qu’un idéal, sa patrie. Pour mieux faire ressortir le courage de cette héroïne il donne lecture de la magnifique citation à l’ordre de l’Armée dont elle fit l’objet, et s’inclinant devant la famille éplorée, il lui présenta les condoléances de tous les anciens combattants, soulignant leur fierté de compter dans leurs rangs cette jeune fille admirable. M.Leguay, président des prisonniers, prend à son tour la parole. Il dit combien les prisonniers, derrières les barbelés des stalags, mettaient leur espoir dans ce magnifique corps de volontaires, sachant combien de sacrifices ont été consentis pour activer leur délivrance. En terminant il demanda à tous de s’unir pour travailler en commun au redressement de la France. M. le général de division Merlin termine la série des discours. Mieux que tout autre il connaît l’esprit de sacrifice des trente volontaires qu’il avait demandés pour accomplir des missions périlleuses, sachant par avance qu’elles pouvaient mourir, il cite un texte officiel émanant d’une enquête faite par ses services sur les conditions dans lesquelles Elisabeth Torlet a trouvé la mort. A la lecture de ce texte combien d’anciens combattants, même les plus endurcis, n’ont pu retenir leurs larmes. Puis le général s’adresse à la jeunesse du pays, l’invitant à prendre exemple sur cette jeune héroïne, et termine en adressant un adieu émouvant à celle qui fut sous ses ordres. La cérémonie est terminée. La foule, émue et recueillie s’incline devant le cercueil et vient présenter ses condoléances à la famille. Elisabeth Torlet repose maintenant dans son cimetière natal. La population ne pourra oublier le sacrifice consenti par cette jeune fille et viendra souvent se recueillir sur sa tombe.

La République du Centre » présente à la famille de Melle Torlet ses condoléances attristées

  • Le 2 mai 1949, le secrétaire d’Etat aux Forces Armées prononce l’homologation au grade de sous-lieutenant à titre posthume de Mademoiselle Elisabeth TORLET.
  • Le 23 avril 1953, Elisabeth TORLET est nommée dans l’Ordre National de la Légion d’Honneur au grade de chevalier par Vincent Auriol, président de la République française (Journal Officiel du 7 mai 1953).
Legion-d'Honneur
Extrait du décret du 23 avril 1953 portant nomination d’Elisabeth Torlet au grade de chevalier de l’Ordre National de la Légion d’Honneur à titre posthume (Droits réservés, M.F.Filliatre, M.Berger)
  • Le 6 septembre 1964, une cérémonie du souvenir a lieu à Lanthenans en mémoire d’Elisabeth TORLET, à l’endroit où Elisabeth fut inhumée par l’abbé Meyer en 1944. A cette occasion, André Jacolin revient sur son parcours dans « La voix du clocher », le bulletin paroissial de Lanthenans.

« C’est arrivé il y a 20 ans »

« Vingt ans ont passé, mais ceux qui ont connu les lourdes heures de l’occupation, ceux qui ont participé à la Résistance, et vécu les jours exaltants de la Libération, n’ont pas oublié. Heures de doute, d’angoisses, d’espoirs, de joies…qui restent si vivantes en nos mémoires Le 6 septembre 1964, les villages de SOURANS, LANTHENANS, HYEMONDANS et BLUSSANS se rappelleront, dans le recueillement, le sacrifice qu’une jeune fille, Elisabeth TORLET, fit pour eux et pour la France. Peut être même, en cet anniversaire, quelques renseignements sur cette héroïne, les intéresseront. Elle appartenait à une famille de 5 enfants. Son père, M Georges TORLET, contrôleur général de la sécurité sociale, était Maire de la petite commune des Bordes, dans le Loiret, d’où il était originaire. En 1942, Elisabeth et une de ses sœurs, Geneviève, partent au Maroc, chez une sœur aînée, lorsque le débarquement anglo-américain, les y surprit. Répondant alors à l’appel du Général Giraud, elles s’engagèrent courageusement, le 16 février 1943, pour la durée de la guerre. Affectées à l’Arme des Transmissions, elles connurent la rude discipline de la vie militaire, mais avec quelle Foi, quel idéal, elles se préparent à ce dur métier. Après avoir reçu la formation technique de radios, elles furent nommées sergent, le 15 septembre 1943. A la demande des Services de Renseignements Français, le Général Merlin, fait appel à 30 volontaires en vue de missions périlleuses. Aussitôt les 2 sœurs se portent volontaires, elles apprennent alors la manipulation extrêmement difficile des postes émetteurs-récepteurs clandestins. A Alger, elle s’entraîna pour acquérir son brevet de parachutiste. Elisabeth Torlet fut nommée sous-lieutenant. Quelques jours avant le départ, après avoir assisté à la messe et communié calmement, simplement en pleine connaissance des épreuves et risques qu’elle allait courir, elle me confia qu’elle avait offert sa vie pour la France, si Dieu le lui demandait. Le lundi 30 août, nous sommes une fois de plus, réunis sur l’aérodrome, avec les containers pour notre matériel. Le pilote, malgré une incertitude sur le temps, accepte enfin de partir, et nous embarquons à trois, accompagnés d’une autre équipe qui devait opérer dans une région voisine. Il est 18h30, nous décollons, disons au revoir à Alger la blanche, illuminée en cette de fin de journée, par un soleil éblouissant. Bientôt nous sommes entre ciel et mer. A la tombée du jour, nous abordons les côtes françaises et remontons la vallée du Rhône. A partir de Valence nous pénétrons dans un orage, les éclairs brillent tout autour de nous. Mais ce voyage ne nous parait pas long, nous ne pensons qu’a la terre de France qui défile sous nos pieds et à la mission que nous devons remplir. A nouveau le ciel s’éclaircit, la lune se lève. L’avion glisse, rompant le lourd silence de cette nuit, jetant craintes et espoirs dans les populations survolées, qui ne savent si l’alerte sonnera pour eux… Il est 22h30, l’avion ralentit, descend lentement et décrit un cercle. Calmement Elisabeth se prépare et lâchés à trop grande altitude, notre descente se prolonge et surtout, nous nous écartons les uns des autres. Le parachute d’Elisabeth s’accrocha à un arbre…C’est après une longue et difficile marche dans la nuit que l’équipe pût se regrouper et retrouver son matériel. Nous cachons nos containers dans les haies et montons sur la route de L’Isle sur le Doubs. ( Hyémondans ) Il est 5 heures du matin… Nous apercevons quelques maisons, c’est le hameau du Rocher. Moment d’arrêt, de réflexion, d’appréhension. À quelle maison frapper ? Que raconter ? Le jour commence à poindre, il faut agir avant que le soleil se lève. Nous frappons… La réponse arrive ; Quelle crainte chez ceux qui, à cette époque étaient ainsi réveillés la nuit ! Monsieur et madame Bertenans nous ouvrent quand même, nous demandons notre route, mais la dame nous voyant trempés, nous offre l’hospitalité. La conversation s’engage. Nous ne mettons pas longtemps à découvrir que la providence nous avait conduit dans une maison sûre, amie. Le mari nous aide, avec un de ses fils, à transporter et à camoufler le matériel. Aussitôt Elisabeth installe le poste émetteur et tente les interminables essais pour prendre contact avec Alger. Le 05 septembre, à 18 heures, nous trouvant à Blussans, nous apprenons que les FFI du Lomont encerclent le village. Nous rencontrons le commandant et lui offrons de lui fournir des armes, munitions et ravitaillement que nous possédons. Désirant faire ce transport seul avec M Bertenans, nous remontons au rocher, mais n’écoutant que leurs cœurs, sa fille Cécile et Elisabeth veulent charger leurs porte bagages de provisions. Pendant notre absence, les allemands avaient déclenché une contre attaque, les filles parties dans le bois au dessus de Blusans, se heurtent à une patrouille ennemie. Cécile Bertanans peut, par miracle, se cacher dans les broussailles. A la faveur de la nuit elle s’évadera. Elisabeth TORLET prise par les allemands, dut, dans la mesure où nous avons pu reconstituer le drame, résister pendant la fin de cette journée tragique et toute la nuit aux interrogatoires de l’ennemi. Puis, emmenée par eux, le 6 septembre à 9 heures du matin, elle était lâchement abattue. Sa mort dut être instantanée. Son visage reflétait le calme et la sérénité du sacrifice accepté… Les camions F.F.I brûlaient loin sur la route. Nous la veillâmes tour à tour, un char emporta le cercueil jusqu’à l’église de LANTHENANS. Quels ne fut pas notre étonnement et notre émotion de trouver une église pleine et recueillie, un cœur pour chanter cette messe des morts pleine d’espérance. Des jeunes filles doivent se rappeler aujourd’hui, qu’elles portèrent en terre ce cercueil recouvert comme celui du soldat qui s’est sacrifié à la patrie du drapeau tricolore. Je ne puis, vingt ans après, me rappeler des jours sombres mais aussi sans vous remercier tous d’abord Mr et Mme BERTENANS et leurs enfants et Mr.le curé votre fidèle pasteur, de leur aide et amitié agissante et vous tous qui en ces jours d’inquiétude et d’angoisse, avait fait preuve de tant de sympathie pour ceux qui étaient dans l’épreuve. Mais remercions avant tout Elisabeth TORLET pour la force que son exemple et son héroïsme nous ont donnée en ces rudes journées de combats et de luttes. Combien de fois nous avons senti sa protection. La France en reconnaissance de son sacrifice lui a décerné la croix de la légion d’honneur et la croix de guerre à l’ordre de l’Armée avec la citation suivante : « Jeune fille animée d’une foi ardente dans les destinées du pays. Volontaire pour participer à une mission de recherche de renseignements en zone occupée par l’ennemi, s’est imposée à tous dès le premier jour par son cran et son dévouement. Prise par les Allemands le 5 septembre 1944, près de l’Isle sur le Doubs, a fait preuve d’un merveilleux esprit de sacrifice en résistant à tous les interrogatoires de la Gestapo. A préféré mourir plutôt que de dénoncer ses camarades de mission. » Sa vie vécue si chrétiennement, offerte si tragiquement, a pris tout son sens en son sacrifice. Qu’elle reste pour tous ceux qui l’on connue, un magnifique exemple de courage vrai et simple et d’abnégation totale dans le devoir.

Avec notre foi et notre espérance disons lui « A DIEU »« 

Etrechy, le 12 août 1964

A.JACOLIN

Insigne-promotion-1983-1984
  • Le nom de « Sous-Lieutenant TORLET » est donné à la promotion des Elèves-Officiers d’active des écoles des services, Ecole militaire d’administration de Montpellier, promotion 1983-1984.

Voici la description héraldique de l’insigne de la promotion : Ovale d’azur foncé, parti d’une épée et d’azur clair. Cette épée partage la composition en deux parties avec à dextre moitié du pot-en-tête d’or et à senestre moitié de La Croix de guerre du même rehaussée d’une palme. Sur le bandeau, à dextre du chef, les majuscules S/LT TORLET et à senestre du chef DOUBS 1944.

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  • La 76eme promotion des sous-officiers d’active de l’Ecole de transmissions d’Agen porte le nom d’Elisabeth TORLET (1992).
  • Une salle du mess de la garnison de Besançon est baptisée Elisabeth TORLET (1992).

 

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L'Est Républicain (Lanthenans) 2 juin 1992
L’Est Républicain (Lanthenans) 2 juin 1992
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L’Est Républicain (Montbéliard) 2 juin 1992
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L’Est Républicain 30 juin 1992
  • L’inauguration le 29 novembre 2003 du gymnase de la commune des Bordes au nom d’Elisabeth TORLET sera donc le point de départ des investigations du premier Club Résistance.

 

inauguration
Le journal de Gien, 4 décembre 2003
gymnase
Le gymnase Elisabeth Torlet, Les Bordes (Tous droits réservés, Benoît Momboisse, déc.2003)
plaque-int-gymnase
La plaque qui orne le hall d’entrée du gymnase Elisabeth Torlet, Les Bordes (Tous droits réservés, Benoît Momboisse, déc.2003)
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Le monument aux morts, Les Bordes (Tous droits réservés, Benoît Momboisse, déc.2003)
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Le monument aux morts, 1939-1945, Les Bordes (Tous droits réservés, Benoît Momboisse, déc.2003)
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André Jacolin entouré des 6 élèves qui ont travaillé avec la famille d’Elisabeth Torlet, Anne-Lise, Marion, Caroline, Suzon, Julie et Noémie, La République du Centre, mars 2004
Art-Rep-Fam
La République du Centre, avril 2004
Blussans, 11 novembre 2014 (Tous droits réservés, J.G.Jaillot-Combelas, nov.2014)

Voici le texte de la plaque, inaugurée en présence de la famille d’Elisabeth Torlet :

Blussans, 11 novembre 2014 (Tous droits réservés, J.G.Jaillot-Combelas, nov.2014)

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